Citations sur Sanderling (30)
La fine pellicule de glace posée sur la boue noire craque sous ses pas comme des cheveux de caramel. [...] Les enfants coulent vers lui, glissent sur leurs rires comme sur des luges, le dépassent et gloussent encore plus fort en le frôlant.
Des ricochets, d'idée en idée, rebondissent dans sa tête, dans des directions incontrôlables. Par exemple, il ne se contente plus de noter les odeurs à tomber raide des flétans mis à sécher au grand air, ici, au nord du cercle polaire. Cette odeur le renvoie à son enfance et l'odeur écoeurante, doucereuse, du lait tiède, frais tiré du pis, coulant des trayeuses dans les seaux à bec, au milieu des odeurs d'étable.
La différence est qu'il avait assisté à un vêlage d'iceberg, qu'il avait vu de ses yeux, au début du voyage lors de la croisière, un énorme pain de glace se séparer de son socle dans un bruit de début et de fin du monde. Comme une grosse vague roulait vers leur bateau une odeur de froid, Landry avait violemment senti celle du sang chaud de ses vaches lorsqu'elles vêlaient, que le veau blanc et luisant se détachait, glissait de la matrice qui ne pouvait plus le retenir.
Derrière le tracteur de Landry, quand il laboure, de plus en plus en surface, de plus en plus léger, les oiseaux reviennent... Au cul des tracteurs de la plupart de ses collègues, il n'y en a pas un, jamais.
Son grand-père lui disait : "Écoute la linotte, si elle chante bien ! Et t'entends le chardonneret ?"... "Tiens, une petite fauvette !"
"Et l'alouette, bon sang, je ne l'entends plus !"
p.96
Puis l'attente reprend, de pénombre en nuit, de pluie en pluie, en funambule, on marche hésitant sur le fil étroit. Parfois, on tombe.
p.374
- [...] Vous voyez, il existe un hiatus chez l'Homo sapiens, entre sa capacité extraordinaire à innover et son incapacité à anticiper les conséquences de ses inventions. Son cerveau, archaïque en cela, ne sait gérer qu'une urgence à la fois. Mais comment faire ? On ne peut pas mettre l'humanité en mode "Belle au bois dormant", pour laisser le temps à nos cerveaux primitifs d'évoluer jusqu'à dompter notre boulimie technologique.
p.110
"Ami", il pèse le mot, petit et lourd comme un lingot.
- (...) Et toi Jean, le plus loin que tu sois allé, c'est où ?
- Si j'étais normal, j'te dirais Paris. Mais tu sais bien que dans ma caboche, je suis allé aussi loin qu'on peut aller... Tu vois, mon chêne, là ? Et ben mes plus beaux voyages, c'est là-dessous que je les ai faits, avec un livre, et mon imagination pour la route. (...)
Germain dit que ce qui le surprend le plus au Groenland, c'est le fatalisme des Inuit. Le fatalisme n'est pas le point fort de Germain. Il est sujet aux colères froides comme lorsqu'il parle de la civilisation occidentale, qui selon lui est un siphon, un siphon qui a aspiré et qui aspire, à coups d'argent, de germes, d'alcool, de technologie, d'humanisme-alibi, tout ce qui a vocation à être aspiré, c'est-à-dire tout. il dit qu'elle aspire avec la constance 'un trou noir.
A Belligny comme ailleurs, tant de choses inconcevables hier deviennent possibles comme pour les particuliers d'abattre le bétail, vaches, porcs, moutons, pour leur consommation personnelle. On réapprend à préserver la viande sans passer par la congélation, dépendante des approvisionnements en électricité. Elle est mise en conserve ou bien salée et rangée à côté des réserves de légumes issues des potagers.
Lucette a compté les réserves de foin, son épargne en banque, investi dans une montagne de sel, et décidé d'abattre autant de bêtes qu'elle ne pourra nourrir pendant trois années au moins. Elle sale consciencieusement des pièces de viande, de la viande de ses vaches.
Puis l'attente reprend, de pénombre en nuit, de pluie en pluie, en funambule, on marche hésitant sur le fil étroit. Parfois, on tombe.