Citations sur Le veilleur amoureux - d'Eucharis (37)
Comment pourrais-je vivre encore:
Inaccompli, cherchant vainement de mes yeux
Ce que tes yeux ont vu, ce que tes lèvres disent ?
(extrait d'UN CHANT D'AMOUR)
Alors souviens-toi des vergers que le nuit voulut même
Abolir pendant les temps d'orage :
Ils tremblent quand le vent se déguise en rivière,
Dans le consentement des branches qui n'ont rien refusé,
Pour que les fleurs se pâment sur son passage
Et que soit proféré le nom de l'aube.
(extrait de "Pommier à Chinon")
LE BLEU
Lorsqu'on renverse la tête sur le sable, et que le jour décroît,
Soudain les yeux s'entrouvrent : c'est le bleu
Du ciel immense, l'espace transparent du ciel bleu, pays
De la lumière vive au-dessus de la joie de l'arbre,
Et le héron prudent pose une patte circonspecte, risque l'autre
Sur le mercure miroitant; la flaque réfléchit l'impavide, l'immense,
L'absolu bleu.
Nous oublions
Les luttes d'un cœur épris d'amour et les distances.
Le bleu
Traverse l'air impalpable, visite la branche immobile qui le salue,
Se laisse étreindre par les yeux qui le pénètrent.
Dans le vitrail éclate la fanfare du jour,
La rosace infusant le doux acquiescement de la lumière.
Même un nuage infime et haut fait concevoir
Les éloignements sans fin de la distance où glisse
Au pli de la tenture une aiguille suivie
D'un fil qui s'effiloche.
Une invisible main
Tente de coudre à l'aube enfuie le crépuscule,
Puisque emporté par son poids, le soleil
Déchire la mandorle où le temps le suspend,
Et que le bleu pâlit à l'horizon.
La mer
Répand sur ses genoux qui tremblent,
Le vaste drap où flambent ses ciseaux,
Berçant infiniment nos cœurs qui se désolent
D'être mortels encore sous l'azur éphémère.
La route -
Ce sera la route encore, non pas
La rue corsetée d'enseignes lumineuses, ni l'ancienne
Voie bordée d'abreuvoirs où tu guettes parfois
Le pas si mesuré du cheval, compagnon de toujours
Qui caracole tête nue, mesurant notre audace
A la fermeté de nos mains — hennissements, envols
De fougueuses crinières dans le poudroiement d'aube :
Nous ne le verrons plus; toute ville
Élève des murs arides.
Une autre route sans bâtiments à la lisière,
Sans vignes régulières, sans la splendeur des sabres du maïs,
Exacerbés dans la lumière que multiplie l'étain du fleuve
Ou l'ouvrage songeur de l'étang.
Et même la perchée
Des oiseaux d'ocre à la cime sauvage, ne te secourra plus.
Lorsque le crépuscule vieillira.
Tu te souviens des cris
Que racontaient sur les premières pages, l'enfance
Aux cheveux emmêlés; les sables que la pluie cherchait
À graver; les grandes fables parmi les arbres,
D'un soleil rond et rouge, avec son heaume et la lance du
peuplier.
Et tu chemines sur la route désolée, parmi les cendres;
Le paysage est mort, et les neiges nocturnes
Succèdent lentement aux granges de l'automne.
LA FEMME
Je poserai dans le panier les fruits du temps.
Prends garde à ceux qui ont roulé dans l’herbe :
Ce sont les plus chargés du sucre de nos joies.
Voici l’hiver aux arbres vides.
Ton sourire éclaire aux fenêtres
La tambourinade grise des pluies.
Tu regardes qui vient, la vallée sombre,
La ligne de cyprès qui dodelinent.
Tes mains ont charge d’éternel
Pour des paroles qui rassurent.
Ô joie que tu fais paraître, paisible,
quand la nature se confie.
Entends les pensées qui dérivent,
Les rêves. Que sais-tu de la nuit,
Parle, dis-moi, que sais-tu de la nuit ?
J’ai veillé jusqu’ici vainement,
Comme dehors l’hiver, la page est vide.
LES MONTS BLEUS
Les monts bleus et le ciel songeur.
Toi
Dont les yeux ardents sont
L’abri du ciel et des monts.
Source, frisson, tristesse, joie.
Je baiserai de ma langueur
Ta bouche.
Je vois les mots se former
Dans tes pupilles, sur tes lèvres.
Et je respire ton haleine.
Je me raccroche à la vie,
Je sais l’existence du monde
Lorsque je tiens ta main.
ST PIERRE MARTYR
(San Marco)
II a posé un doigt sur ses lèvres :
Il faut se taire. Au-dehors
Les arbres continuent de trembler dans la brise.
Et l’oiseau sur le mur, par la fenêtre
De lumière, ouvre un oeil sage
Couleur de raisin noir. De l’autre main
Il tient l’écritoire et la plume. La nuit
Chaude descend sur ses épaules. Derrière,
Le mur est comme l’âme dépouillée, terne et nue.
Alors commence la lumière.
VEILLE NOCTURNE
Peut-être alors entendrons-nous
Sur le mur blanc qui ferme l’horizon,
Lorsque la nuit ouvre ses poings de feu,
Germer les graines saintes du silence.
L'alouette
D'abord elle se faufile, craintive, dans les prés,
Humant l'odeur végétale du vert, le lait âcre
Des coquelicots de soie rouge plissée, le bruit
Du vent dans le cliquètement des orges.
Puis s'envole, tout droit, dans l'air limpide
Au-dessus des moissons, des bois et des collines.
Alors les sons, les couleurs s'harmonisent
Dans le vent fluide, jusqu'aux nues, qui la berce:
Le soleil froid dans le ciel proche,
L'horizon qui s'appesantit sur ses ponts de brumes,
La nuit lointaine et le recel des mares,
Les fermes endormies sous leur chapeau de tuiles.
Elle, droite, exulte et traverse l'espace,
Sans perdre son chemin dans le récit
De l'herbe à terre occupée de célestes insectes,
Et boit dans la coupe du ciel
L'eau tremblante du jour.
Et d'en haut, calme, elle chérit la terre.
QUI VEILLE ?
Les étoiles n'ont pas de mémoire, les pierres
Sont silencieuses sur le lit des jours. Seuls,
Les arbres parlent, nous ne savons entendre
Le Vert murmure de leurs branches. Nous cheminons
Dans ce monde indifférent aux signes,
Pourtant nous écoutons le moindre bruit :
Le vent dans la récolte, les pas dans le couloir,
Les éclats de tambour d'un robinet dehors
Dans le seau de métal, la joie de la lumière. L'arbre ni l'océan
N'ont pour voir la splendeur du monde ces yeux
Qui nous ont fait aimer l'aube et les fruits du poème.
Pourtant quelqu'un chemine à nos côtés. Qui veille
Dans la chambre haute, au dessus des étangs ?...