AUTOMNE
L'automne jette aux balcons de la ville
Les douceurs tristes des campagnes.
Nous ne les verrons plus avant l'hiver; les hirondelles
Sont parties; le feu noie les éteules de brouillards;
L'arbre déploie dans le ciel blanc sa pourpre.
Tu n'es rien
Pour eux, un voyageur à peine, le solitaire dont la main
Flatte l'échiné du cheval qui trépigne et le flanc du bouleau.
Les orties croissent en bordure des pelouses.
En bas du raidillon, les brebis continuent de lever
Au moindre bruit leurs yeux trop doux, craignant
Le boucher aux mains nues, quand le soir tombe,
Rougissant les confins des vallées.
Alors
Les haies s'emplissent de bruits nocturnes dans le bocage;
Les musaraignes ont quitté les champs; le loir
Du grenier heurte aux murs sa tête aux dents luisantes.
La sève s'en retourne à la terre endormir les ardeurs
De l'été; le mica de l'insecte est déposé dans la caverne
Molle de l'hiver, puisque descend — et toi-même
Y peux-tu quelque chose? - la mort
Que nous voulions traquer parmi les ronces,
Habitante des flaques d'argile où l'eau se désapprend À chérir le rapide visage des promeneurs,
Accoutumée depuis toujours à se glisser parmi les arbres,
Pour rejoindre dans les nues d'éphémères gisants,
Lorsque l'hiver chasse les bancs d'oiseaux des plages,
Et que l'aube verse des larmes sur les dernières roses.
II
Dans le journal qui parle de décombres,
Il jettera les épluchures des légumes,
La chevelure terreuse de la pomme à cuire.
Il me reste l'amour, dit la chanson, il me reste
Le bel amour.
Les faits divers
Tordent leur encre autour des blancs du papier sale,
Tandis qu'armé du croc de
Vulcain,
L'homme dont l'ombre croît sur les murs incertains,
Irrite le vieux poêle qui tousse et craque.
Dehors
Les troupeaux de l'hiver immuable défilent sans bruit.
Ciel de
Bohême, ciel vagabond.
Ici, du monde vaste,
Nous retiendrons le nom de paix.
Un feu de bois, le soir, nous servait de repère,
Et la tasse de lait, mise à tiédir,
Il la buvait si lentement
Sous la pendule aux aiguilles agiles,
Qu'un peu de temps s'estompait pour l'attendre.
BABYLONE
Est-il des saints dans
Babylone, et l'eau irriguant les terrasses
Ruisselle-t-elle d'une source pure?
Qui prévaut ici-bas
Dans la lourde démarche des habitants de l'ombre, au pied
des fortifications?
Les mendiants affamés de l'invisible quittent la zone
Qui borde les maisons laides.
Babylone, ville sans désir.
Les saints dans la torpeur s'éloignent en gémissant :
Nous t'aimions, pays injuste, terre de convoitise, cité bénie
Par le soleil qui paye aux briques son tribut.
L'étoile
Abusive n'ose plus effleurer les citernes.
Le cheval peine
Sous le harnais, flétrissant de la jambe
L'ombre des pauvres sur le mur des jardins.
Babylone, ville
savante.
Nous mesurons de nos dociles instruments
Le cours des astres sur le registre de la nuit.
Ville de vieux
Hommes, ville sans passion.
Regarde au carrefour les frises
De héros qui se faufilent dans la gloire.
Entends le démocrate
User de son mensonge et la fille appeler de sa voix susurrante, À la tombée du soir, le promeneur recru de solitude.
Les guerriers sales s'en reviennent, glissent le long des murs
Bardés d'obscènes inscriptions.
Nul n'attend rien, ni demain,
Ni jamais.
Babylone, le temps continue de battre sur la grève,
Avec le cœur du soir dans l'arbre rose, et le moineau.
La mort desséchera l'enfant chétif et nu, l'homme vieux,
La carcasse du cheval mon veillé par le buisson de mouches,
Sous le regard du saint qui pleure.
La glace du désert
Pénètre dans les cœurs et les jardins abstraits.
CAMPAGNE
Ici la foule des tournesols
Courbe vers l'orient ses têtes recueillies,
Serrées dans le drap jaune des cornettes, souriantes.
Le jour décroît, aussi la mansuétude est douce
Parmi les orges fraternelles, versant au coin du champ
L'obole de la veuve au moineau roux qui loge
Dans le lierre.
L'avoine est lasse de combattre
Et fléchit lentement, au gré des vents onctueux
Sa lance.
Les filles du blé, en agitant leurs nattes blondes
De l'azur se souviennent, mourant et renaissant, où le soleil
encore,
Qu'annoncent merles, passereaux, et la mésange
Qui sautille sur le sentier fragile, resplendira.
Forêts et sombres eaux du
Cher,
Où le ciel transparent laisse pressentir
Le secret que l'eau entortille dans l'ombre;
Peupliers inquiets, chênes vétustés, saules échevelés,
Hissez du haut de vos mâtures l'astre qui roule
Sur la pente du ciel jusqu'aux mers,
Qu'il réveille les villes laides, les fermes
Dont se désagrègent les blancs tuffeaux, la lente
Eternité des caves ouvertes sur le vide.
Et le secret s'allonge sur la cendre des rivières :
Vainement la nuit déserte engendrera l'oubli.
Un feu dans le jardin fermé, lentement rêve.
L'arbre avare contemple son trésor inutile.
Automne campe à la fenêtre.
Ses brouillards
Ont revêtu les toits de ce silence triste
Qui fait jaillir la lampe à la proue des rideaux.
Mais où en est la nuit? dit le veilleur,
Et le rideau retombe sur la vitre éclairée.
La richesse, à quoi bon? songe tout bas la branche,
Et l'or s'écroule doucement sur les pelouses.
Là-bas, ce banc sur lequel vous aimiez vous asseoir
Est demeuré désert; et l'ombre descendue
Refoule jusqu'aux rues bruyantes les souvenirs
Qui dorent leur image sur nos branches.
Quelle est cette richesse?
Alors, le patriarche
A mis sur son épaule pour partir une besace :
Il faut gagner la nuit généreuse qui passe
Au-dessus des fumées et des visibles ciels,
Et reconnaître enfin parmi les plus lointaines
Des étoiles, celle où le souvenir
S'affine à la clarté de la lampe espérance,
Que le vent porte à l'aube et les chants à nos lèvres.
ENFANCES
XX
La terre plate au four céleste lève comme
Une galette à la croûte dorée. Le vin
Des nuits reflété par les fleuves, les mers,
Vieillit dans le secret des ombres sidérales, attendant
Quelles noces, quel céleste festin ?
p.35
Festival Voix Vives 2016
Entre mer et ciel : Philippe Delaveau
Images et montage : Thibault Grasset - ITC Production
#Poésie #VoixVives #PhilippeDelaveau