Jean-Paul Delfino nous propose une virée nocturne déjantée dans le Paris des années folles. Je me suis laissé tenter par l'aventure, grisé par cette époque et par ces compagnons d'exception : un poète baroudeur
Blaise Cendrars et un musicien révolutionnant son art, Erik Satie. Tout ce qu'il faut pour traverser le Paris magnifié d'après-guerre en cette année 1925. Un livre adressé par l'auteur « A toutes celles et tous ceux qui, tapis dans la nuit, savent encore rêver à leur étoile. »
L'amitié, l'amour forment la trame de ces récits successifs. Amitié entre deux hommes que tout oppose sauf la proximité de la fille aux grands yeux verts – selon la métaphore de Satie pour désigner la misère – qui accable les deux hommes, et la frénésie de rêves plus grands qu'eux.
Cendrars, côté fiction, accepte d'aider son ami à retrouver son amour de jeunesse, l'artiste peintre Suzanne Valadon, surnommée Biqui. Erik Satie a réellement eu une courte liaison dans sa jeunesse avec Suzanne mais celle-ci avait refusé sa demande en mariage. le poète et son compagnon trouvent là un argument pour faire le tour des lieux du Tout-Paris de l'époque : le chien qui fume, la Closerie des Lilas, l'Opéra Garnier, la brasserie du Petit Billard de Nation...
Le premier chapitre « Les russes blancs du chien qui fume » permet de rentrer directement dans cette succession d'épisodes alternant la fiction – de belle manière, avec bagarre, fuites... – et éléments empruntés à la vie artistique d'époque –
Cocteau et l'argument volé d'un opéra destiné à Satie, l'énumération des occasions où
Cendrars et Satie se sont réellement croisés... J'ai aimé l'entrée en matière inoubliable avec un bras de fer terrible entre le russe blanc aviné, nommé le Baron Noir, et un
Cendrars déterminé, malgré son bras unique, lui qui a été amputé du bras droit en 1915 lors de la première guerre mondiale.
Au cimetière du père Lachaise, les deux compères visitent la tombe de Guillaume Kostrowitzky. Vous avez certainement reconnu le nom de naissance du poète
Guillaume Apollinaire :
J'ai aimé le récit de l'arrivée de Zarafa, la première girafe à mettre le sabot en France et la promenade à dos de Girafe de Satie.
Jean-Paul Delfino a un talent fou pour malaxer ainsi les faits documentés et l'imagination débridée qu'on ne voit souvent que dans les livres pour enfants.
La forme du livre est originale, une réussite de document fiction. Les éléments réels sont facilement détachables des péripéties poétiques décrites, sans aucune retenue et pour mon plus grand plaisir. L'écriture est travaillée pour faire honneur à la fois au poète, par la beauté de la langue, et au musicien, par la mélodie qui se dégage de l'ensemble.
Un livre pour tous les rêveurs de mots et de notes de musique, poussières de souvenirs de deux artistes incroyables, à savourer en regardant les étoiles, en gardant notre âme d'enfant émerveillée par la beauté du monde que nous transmettent certains artistes.
Je suis ravi d'avoir découvert
Jean-Paul Delfino avec cet étonnant récit. Il est l'auteur de plusieurs romans policiers, de pièces radiophoniques, d'une série romanesque consacrée à l'histoire du Brésil qui compte neuf romans. Il a également publié un recueil de
Contes et Légendes du Brésil et plusieurs opus sur la Bossa nova et la musique brésilienne en général.
Les pécheurs d'étoiles a obtenu le Prix des Lycéens du Salon du livre de Chaumont.
Autour de l'oeuvre, quelques mots sur
Cendrars et Satie :
Blaise Cendrars de son vrai nom Frédéric Louis Sauser, est un écrivain, né en 1887 en Suisse, naturalisé français, et mort en 1961 à Paris. Il a également utilisé les pseudonymes de Freddy Sausey, Frédéric Sausey, Jack Lee, Diogène. Sa poésie est imprégnée de voyages, réels ou imaginaires. Dans le film Petite Nature de Samuel
Theis, le jeune Johnny récite un poème de
Cendrars d'une façon incroyable, devant un professeur subjugué par les gestes de l'enfant accompagnant sa diction. Il me semble qu'il s'agit de ce beau poème ?
« Iles / Des iles où l'on ne prendra jamais terre / Des où l'on ne descendra jamais / Iles couvertes de végétations / Iles tapies comme des jaguars / Iles muettes / Iles immobiles / Iles inoubliables et sans nom / Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu'à vous. »
Erik Satie est né en 1866 à Honfleur où on peut visiter le musée qui lui est dédié. Il est un compositeur inclassable, auteur par exemple des Trois Morceaux en forme de poire, 1903, qui seraient une réponse à Debussy reprochant à sa musique de n'avoir aucune forme définie. Dans sa passion contrariée pour sa « Biqui », il compose « Vexations ». Curieuse pièce dont le motif doit être répété 840 fois de suite – « il sera bon de se préparer au préalable, et dans le plus grand silence, par des immobilités sérieuses ». Fantasque Satie ! Il a terminé sa vie en cette année 1925, dans le dénuement le plus total. La reconnaissance est venue après... Il est en effet un des compositeurs les plus joués au monde.
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Retrouvez cette chronique avec composition photo personnelle de présentation et deux plages musicales de musique de Satie. Merci pour votre lecture !
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