Jeu de Dupes

 Avoir une vraie vie… » pour un être de papier ?
« Avoir une vraie vie », c'est ce dont rêve Herman Paterne, alors qu'il se promène avec une jeune femme sur la côte normande. Jusqu'ici rien de bien surprenant : un roman, un homme et une femme, une entreprise de séduction, quoi de plus banal ? Sauf qu'Herman Paterne est un personnage créé par Jean, lui-même écrivain, et qu'il vient un jour frapper à sa porte. Cette irruption inattendue et évidemment déstabilisante est le point de départ de ce « jeu » dont Marie Delhestre détient les règles. Jeu de dupes, certes, mais aussi jeu de miroirs, où la démultiplication des images finit par faire perdre le sens de sa propre identité, le roman manipule aussi le lecteur, avec des « je » de narrateur ou de narratrice qui font chaque fois chanceler les certitudes : qui parle ? Qui raconte ? Herman ? Jean ? Léa ? Lou ? Ainsi est-on entraîné dans ce tourbillon tout comme les personnages eux-mêmes. Finalement qu'est-ce que vivre alors ? Ecrire, est-ce inventer la vie, peut-être en donnant la mort ? C'est ainsi que l'auteure, à travers cette histoire, pose une question assez banale, mais fondamentale : quel liens entretient un auteur avec le personnage qu'il crée ? Dans quelle mesure l'illusion peut-elle « faire intrusion dans la réalité » ? L'idée que les frontières entre elles seraient poreuses ouvre un champ sans limites à l'imagination et crée un vertige à la fois inquiétant, délicieux et quasi métaphysique. Marie à son tour explore ce mystère, tout en sachant déjà que le rêve et la réalité sont deux mondes qui se confondent. Et plutôt que de démêler ce qui appartient à l'un ou à l'autre, l'écriture n'a-t-elle pas justement ce pouvoir de créer sans que rien ne puisse la limiter ? C'est en tout cas l'ambition de ce premier roman prometteur, qui (se)joue habilement de la fiction pour emmener le lecteur jusqu'à la dernière page.