Une chose était sûre pour la première fois dans cette série de meurtres, l’Empailleur ouvrait ses victimes alors qu’elles étaient encore en vie. Il les éventrait d’un coup de lame. Les voir se tordre de douleur et agoniser sous sa main devait le remplir d’une jouissance morbide, d’un sentiment de puissance absolue.
Ne croyant pas aux maisons hantées, elle trancha en faveur d’un rôdeur et, dans le contexte des meurtres, fut prise d’angoisse à l’idée que ce pouvait être lui. L’Empailleur. Il avait dû la repérer, observer son manège et entrer, malgré la présence des équipes de police et de gendarmerie. Au contraire, ça devait l’exciter. Une femme seule dans une maison aux fenêtres aveugles à l’écart des autres, plongée dans l’obscurité. L’espace d’un instant, elle se vit, écorchée, dépecée, éviscérée, terminant en épouvantail cousu main au fil de pêche dans le champ d’un fermier du coin.
La vieillesse, c’est un peu une somme de maladies. Mais va, ce n’est pas une conversation pour une fillette.
– Comme ça ! Il a cent neuf ans.
Je croyais que seuls les arbres pouvaient atteindre cet âge. Et les dinosaures ou les tortues.
– Il est aussi vieux qu’un arbre ! me suis-je exclamée.
– Cent neuf ans, c’est jeune, pour un arbre. En revanche, pour un humain…
On ne marche pas avec une canne seulement si on est malade. Il est vieux, ma petite fille, simplement vieux, très vieux. La canne l’aide à avancer.
Sans électricité, avec des bougies et des lampes à pétrole pour seul éclairage, on vivait au rythme de la nature. En hiver, la nuit tombait à quatre heures et demie. L’été, les journées étaient un peu plus longues, mais les bois de conifères et de feuillus, proches, semblaient absorber la lumière et projeter leur ombre épaisse tout autour.
Rien n’était vraiment prévu pour les loisirs à la maison du hameau. Pas même un tourne-disque et encore moins la radio ou la télévision. Les Purs avaient banni tous ces appareils qui incarnaient les inventions technologiques du XXe siècle. Ils se réunissaient chaque soir, entre 20 h et 21 h, et toute la journée le dimanche. Seuls les hommes prenaient la parole. La plupart du temps en anglais. Les femmes se taisaient et devaient se couvrir la tête.