- T'es en train de partir dans un bad trip ou je rêve ?
- Mes règles.
- Pardon ?
- J'AI MES RÈGLES !
J'ai peut-être répondu un peu fort ; les deux rangées devant nous se sont retournées. Regards pleins de compréhension de la part des filles qui ne sont pas loin de me faire le petit geste « fighting » à la k-drama ; grimace dégoûtée des mecs qui pensent encore à dix-sept ans que les menstruations, c'est péter des fleurs dans sa culotte et manger des cookies en étant mignonne.
Monsieur Schaeffer nous a installées sur les gradins avec les autres dispensés – beaucoup de filles, sans surprise. Trop pour qu'elles aient réalistement leurs règles en même temps. Mais la piscine, pour une fille en pleine croissance, c'est un sacré cauchemar. Le moindre téton, la moindre vergeture, le moindre poil est passé au crible et servira de munitions aux gens de ton entourage pour toute la fin de ta scolarité. Pendant que l'autre mec se balade avec l'équivalent d'un chat mort entre les cuisses sans que ça ne questionne personne.
Non. Je ne suis pas le crayon le mieux taillé de la trousse.
Cindel – physique ET prénom de princesse. Comment on peut concurrencer ce genre de spécimen quand on a hérité d'un patronyme aussi banal que le mien (Emma Martin, sérieux), et d'un crâne chauve ? On ne peut pas. Voilà la réponse.
Ce qui m'amène à me questionner : qui appelle sa fille Cindel ? Dans quel monde on fait ça ? Qui sont ces gens et quel est leur réseau ? On n'est pas dans un roman, où le personnage doit à tout prix avoir un prénom plein de sens. On est à Strasbourg, capitale des knackis, et on y vend de la choucroute en barquette. Je veux dire... Voilà, quoi.
Comme me l'a rabâché la docteure Perchivod : il faut aller de l'avant, garder le regard sur l'objectif, et tenir son cap.
Huit ans d'études au bas mot pour me servir un speech digne d'une chanson de Renaud. C'est quand même fort.
Qui s'est dit que ce serait une bonne idée de sexualiser des arrêts de tram ? Et pourquoi c'est toujours une meuf qui se retrouve à faire ça ?
Je me souviens des regards pesant sur moi quand je passais dans les couloirs, des rires et des murmures. Je me souviens des blagues, de la trouille au ventre et de la gorge nouée. Et puis de la peur. Et puis de l'après. Des parents. de l'expulsion. De la peur. De la peur. De la peur. De la peur.
De tout le reste.
Si on demandait à des inconnus qui la croiseraient dans la rue quel métier ils l'imaginent exercer, je pense que 90% des interviewés répondraient prof d'espagnol. Rapport à sa passion pour les fringues Desigual aux motifs criards un peu moches, et à la feutrine sous tous ses aspects.
On ne va pas se mentir : être meuf, c’est mentalement épuisant, et socialement injuste.
Cette fille est tout de même étrange, n'avait pu s'empêcher de remarquer mon père au dîner. C'est la seule personne que j'ai rencontrée qui me donne l'impression d'être un personnage secondaire dans ma propre vie.