C'est la guerre. La situation n'a déjà rien de bien folichon. Mais la vivre à Boulogne quand on a vingt ans, quel ennui. Monique a donc décidé de rejoindre sa soeur à Paris. Pour elle, cela veut dire rencontrer des artistes, voir des spectacles, fréquenter des caves où l'on danse sur de la musique américaine. Elle fait la connaissance de Francis qui lui permet de vivre toutes ces expériences. Mais un jour, il la forcera à faire un choix cornélien.
Dans cet album,
Stephen Desberg s'attaque à l'histoire de sa famille. A des secrets douloureux qu'il s'efforce d'exhumer. Cette belle jeune fille insouciante, la narratrice de l'histoire, c'est sa propre mère. Il a choisi de transcrire cette partie de sa vie à travers des récitatifs pris en charge par Monique, dans lesquels elle peut se raconter et montrer également toute la palette des sentiments qu'elle ressent.
En réalité, tout l'album sera une rétrospective, puisque les premières planches évoquent la Libération, les rues sont pavoisées, dans des jeeps américaines, des soldats souriants se retournent sur les jeunes Françaises. Mais, au milieu de cette liesse, Nicole vit un moment dramatique, qui fait penser à l'impossible « Choix de Sophie » (le roman de
William Styron). Elle est chez le notaire. Elle veut divorcer, car elle s'est mariée sans amour et vient de rencontrer l'homme de sa vie. Son mari ne la retiendra pas, mais elle devra abandonner Nicole, sa fillette de trois ans.
Les couleurs sont sombres, en accord avec le chagrin de la jeune femme, mais aussi celui de Francis. Il faut dire que celui-ci a déjà eu une fille d'un premier mariage, mais sa femme l'a quitté, le privant de son enfant. On peut comprendre qu'il ne veuille pas connaître ce déchirement une deuxième fois.
Les dessins d'Emilio van der Zuiden sont très expressifs et rendent bien l'ambiance de l'époque, pour autant que je puisse en juger.
Les deux soeurs sont insouciantes, elles ne pensent qu'à s'amuser. Monique acceptera donc sans hésitation l'invitation du charmant jeune homme qui avait fait un stage dans le magasin de ses parents avant guerre. Les deux mondes qui s'opposent, celui de la jeunesse avide de plaisirs et celui de la domination allemande, est bien résumée en une seule vignette : lorsque Monique retrouve Max Schaar, elle le salue d'un « Herr Schaar ». Immédiatement, celui-ci remet les pendules à l'heure : « Lieutenant Schaar, bitte ». Il porte un uniforme noir, c'est donc un nazi. On comprend que son unique but est de récolter des renseignements sur les intellectuels que fréquente la jeune femme. « Qui parle de quoi ? Qui résiste ? Qui se retrouve où ? »
D'un côté, un univers plein de gaieté, de couleurs, d'érudition, d'amusements : librairies, galeries d'art, bars où l'on boit, danse, écoute du jazz, Opéra. de l'autre, les rafles, les attaques aériennes, les contrôles d'identité musclés, la déportation.
Le découpage est extrêmement original. Jamais de planche du type « gaufrier » (six cases identiques disposées comme une plaque de gaufrier). de grandes vignettes étalent des plans larges, souvent avec des incrustations. Elles alternent avec des petites : gros plans sur des visages, des mains, documents, regards.
A certains moments, l'histoire se déroule sur les deux planches en vis-à-vis (donc, de très grands dessins), des ambiances sont rendues sans cadre, sur fond blanc.
La page double qui présente l'Opéra est bordée de vignettes non cernées. le rouge fastueux du rideau de scène répond aux drapeaux nazis. La pluie qui tombe dru, le ciel noir laissent présager un événement funeste.
Un dossier cartonné donne quelques précisions sur les faits au travers d'une interview de
Stephen Desberg
J'ai adoré cette bande dessinée. Scénariste et dessinateur se complètent parfaitement, mais il faut également saluer le travail de
Fabien Alquier dont les couleurs sont pour beaucoup dans l'atmosphère très prégnante de ce volume.
Un grand merci à Babelio qui me l'a proposé lors d'une Masse critique privilégiée et aux éditions
Grand Angle qui me l'ont offert.