Le soleil s'était couché rougeoyant. Des flots de nuages venus du versant amazonien s'étendaient maintenant sur la vallée de Llanganuco, comme un grand lac brillant sous la lune déjà haute.
La nuit tombait. La chasse pour la vie commençait.
A l'est, le ciel tournait à l'indigo. A l'ouest, les montagnes se dessinaient sur les derniers rayons pourpres du soleil. Dans la végétation, au-dessus de la muraille, des feulements menaçants remplissaient l'espace.
Cuzco n'échappait pas à la pollution des temps modernes malgré son altitude de trois mille deux cents mètres. Seules les habitations étagées sur les versants la dominant bénéficiaient d'un air relativement pur.
Quand l'avion survola Cuzco (le nombril du monde en quechua, la cité sacrée des Incas, fondée vers le 13e siècle par Manco Capac), une nappe jaune sale à peine transparente recouvrait la ville.
Tous les week-ends, des Liméniens fuyaient les brouillards du Pacifique pour retrouver le soleil de l'altitude. Et les hydrocarbures des véhicules se mêlaient aux fragrances des étals du marché où abondaient agrumes et légumes, répandant dans l'air sec et chaud de turgescentes exhalaisons.
A Huaraz, comme tous les samedis matins, grand jour de marché, une foule dense s'agitait au milieu des rues encombrées de véhicules, des plus délabrés aux plus luxueux. Depuis l'ouverture des mines, la ville était devenue une station à la mode.
L'orage maintenant à son paroxysme conjuguait ses forces sur le massif. La foudre tombait du ciel, formait des arcs électriques sur les satellites du Huascaran : le Huandoy, le Chacraju, le Chopicalqui. Des lézardes lumineuses enflammaient les horizons ténébreux du versant amazonien. Des masses d'air s'engouffraient dans les étroits de la Quebrada de Llanganuco où, par compression, elles prenaient une puissance dévastatrice, et leurs longs tentacules engendraient sur les lagunes des tourbillons; des vagues inondant les rivages. Les oies et les canards sauvages se terraient sous les massifs de lupins qui s'agitaient, se torsadaient, se rabattaient sur les bêtes affolées. Des branches d'arbres traversaient l'espace pour se ficher entre les blocs de moraines.
Nous ne sommes pas seuls dans l'univers. Il y a d'autres mondes, que nous pouvons rejoindre en franchissant des passages que nous ignorons encore. Seuls des initiés appartenant à une secte inconnue peuvent accéder à ces, ou à ce monde.
La lune se leva dans sa plénitude sur les lagunes de Llanganuco et des lueurs blafardes montèrent de l'onde. Seul le léger bruissement des ruisseaux descendant des versants troublaient à peine le silence nocturne.