Les layettes servent à l'étiquetage des enfants. Du rose ou du bleu, des voitures ou des fleurs du vif ou du pastel. Aussi caricatural que ça. Même lorsque je cherche une affiche pour décorer sa chambre, On m'interroge sur le sexe du bébé. Filles et garçons n'ont pas le même beau.
J'ai des attaques de réalité. Comme si cette naissance me liait définitivement au destin de l'humanité. Et au chagrin commun. Je suis hantée par des images d'exode, de migrations, de camps, où des mères déambulent folles de douleur, un bébé crevé dans les bras.
Ce connard de Larousse a menti, ce n’est pas vrai que la maternité rapproche mère et fille. (p. 37)
Mon ventre bascule dans le domaine public.
On s'autorise des gestes déplacés en temps normal, on touche mon ventre comme un gris-gris, le dos du bossu, la tête du singe. Moult commentaires, il est petit, rond, carré, vers l'avant, non, vers l'arrière. Plutôt que des ringardes félicitations, beaucoup me gratifient de traits d'esprit sur mon soudain embonpoint, si bien que l'on me répète à longueur de journée que, dis-donc, j'ai sacrément grossi. Je fais preuve à leur égard d'une patience toute maternelle.
Le meilleur moyen d'éradiquer la mère parfaite, c'est de glandouiller. Le terme est important car il n'appelle à aucune espèce de réalisation, il est l'ennemi du mot concilier. Car si faire vœu d'inutilité est déjà courageux dans notre société, pour une mère, c'est la subversion absolue.
Le jour où je refuse d'accompagner père et bébé à un déjeuner dominical pour traîner en pyjama toute la journée, je sens que je tiens quelque chose.
La moindre des politesses quand on met un enfant au monde, c'est de lui fournir un kit de survie. Un récit édifiant, des valeurs, une morale, des repères.
Ce n'est pas pourtant compliqué. Des repères.
Pourquoi, sous prétexte que j’ai un utérus, dois-je porter une telle responsabilité ? Le père du bébé aurait fait une bien meilleure mère. Son instinct de sacrifice est plus développé, et c’est toujours lui qui fait les crêpes.
Il y a toujours un moment où on rappelle à une femme le sens profond de son existence : procréer. Toujours un ami, une tante, un dentiste pour lui rappeler qu’elle n’a pas encore d’enfant. Et la voilà sommée de se justifier. Soupçonnée de souffrir secrètement d’une carence de maternité ou de transférer son amour maternel sur un chat.
Qu'ai-je fait de mon imaginaire ces derniers temps ? Il ne suffit plus que je m'enferme dans mon bureau. Il faut retrouver de l'espace à l'intérieur. Où prendre le temps de tâtonner ? Mon cerveau est colonisé. Même absent, le bébé m'accapare.
Quoi qu'il arrive, notre corps commence et finit entre les mains des autres.