Une famille, c’est comme cette ferme. Il faut que tu aies beaucoup d’enfants, car les enfants sont pour un vieil homme la seule protection contre les coups du destin. Je lui ai obéi. C’était un temps où les enfants obéissaient encore à leur père. Pourtant, qu’est-ce que cela m’a rapporté ? Car vous, mes enfants, mon unique défense, ma seule protection contre les vents cruels du destin, vous ne vous souciez guère de me secourir ! Vous êtes trop occupés à vous quereller et à marchander jusqu’au dernier sou le prix de la liberté de votre père, comme des maquignons qui marchandent le prix d’un bœuf. Ce sont mes ravisseurs et non pas vous qui prennent soin de moi maintenant, ce sont eux qui me donnent de quoi me nourrir et me vêtir, ce sont eux qui m’abritent, pendant que vous restez bien au chaud à la maison et cherchez de nouveaux moyens d’éviter de payer pour ma libération !
Si une femme commet la plus petite erreur, on proclame aussitôt qu’elle a donné la preuve de sa complète incompétence. La conséquence est que mes collègues femmes ont une tendance naturelle à la prudence.
Les femmes sont dans l’incapacité de me trahir, car je n’ai jamais été assez crétin pour leur faire confiance.
Après tout, ma vie est entre vos mains, et si vous me traitez comme un bœuf mis en vente au marché aux bestiaux, la sagesse devrait me dicter de faire d’autant plus attention à ne pas vous être désagréable. Ravale ton orgueil et ta colère, pauvre vieux ! Flatte, implore, fais-toi prendre en pitié et abaisse-toi devant tes enfants tout-puissants. Oui, c’est ce que je devrais faire si je voulais vous égaler en ruse et en traîtrise.
Sans preuves, un procureur hostile réduirait facilement son histoire en charpie. Il dirait que Patrizia est une veuve accablée qui essaie de soulager son chagrin en se vengeant des Miletti, parce qu’elle estime que sans eux son mari serait toujours en vie, ou quelque chose de ce genre. En revanche, cette lettre ouvre d’autres perspectives.
Il existait mille et une manières pour un juge d’instruction de compromettre ou d’embarrasser un officier de police, tandis qu’avoir l’autorité judiciaire de son côté constituait un atout d’une valeur inappréciable.
Naguère, les magistrats étaient des personnages austères et pesants, dignes mais sans aura, et surtout lointains et anonymes. Mais la montée du terrorisme et l’influence croissante de la télévision avaient changé tout cela. Une nouvelle variété d’hommes de justice était apparue pour imprimer son image sur la conscience de la nation : les flamboyants juges d’instruction et autres procureurs de la République qu’on pouvait voir tous les soirs, aux informations, prônant et illustrant la lutte contre les exactions politiques et le crime organisé.
Voyez-vous, beaucoup de gens croient que quelque part dans la trame de la société italienne se cache le roi de tous les rats. La plus ignoble bête, la plus dangereuse, la plus cruelle et rusée, la plus malfaisante de toutes. L’animal qui domine la bande, pour reprendre vos termes. Certains ont pensé que c’était Calvi, certains que c’était Gelli. D’autres pensent que ce n’est pas eux, mais quelqu’un qui les surpasse encore, peut-être un gros bonnet du gouvernement ou peut-être au contraire un individu dont personne n’a jamais entendu parler. Mais le point sur lequel tous ces gens sont d’accord, c’est qu’il existe, ce rat supérieur. C’est à la fois un message d’espoir et de désespoir. D’espoir, parce qu’on peut se dire qu’un jour il finira bien par être pris au piège et qu’on pourra le neutraliser, l’anéantir et débarrasser pour toujours la maison de l’invasion des rats. De désespoir, parce tout laisse à penser qu’il est beaucoup trop malin, puissant et retors pour jamais se laisser prendre au piège.
Que l’eau soit douce ou bien salée, les étrons montent à la crête des vagues.
C’est simplement une très jolie petite fille qui commence à vieillir sans avoir jamais commencé à grandir.