Nous croyons conduire le destin, mais c'est toujours lui qui nous mène (Livre de Poche, p.76)
Jacques — Mon maître, on ne sait de quoi se réjouir ni de quoi s'affliger dans la vie. Le bien amène le mal, le mal amène le bien. Nous marchons dans la nuit au dessus de tout ce qui est écrit là-haut, également insensés dans nos souhaits, dans notre joie et dans notre affliction.
Quand je pleure je trouve souvent que je suis un sot.
Le Maître — Et quand tu ris ?
Jacques — Je trouve encore que je suis un sot ; cependant, je ne puis m'empêcher ni de pleurer ni de rire : et c'est ce qui me fait enrager.. J'ai cent fois essayé... Je ne fermai pas l'oeil de la nuit.
Le Maître — Non, non, dis-moi ce que tu as essayé.
Jacques — De me moquer de tout. Ah ! si j'avais pu y réussir.
Le Maître — À quoi cela t'aurait-il servi ?
Jacques — À me délivrer de souci, à n'avoir plus besoin de rien, à me rendre parfaitement maître de moi, à me trouver aussi bien la tête contre une borne, au coin de la rue, que sur un bon oreiller.
Il m’est impossible d’avancer ; il me semble que j’aie derechef la main du destin à la gorge, et que je me la sente serrer.
Moi, monsieur, à l’eau ! Jacques à l’eau bénite ! J’aimerais mieux que mille légions de diables me restassent dans le corps, que d’en boire une goutte, bénite ou non bénite. Est-ce que vous ne vous êtes pas aperçu que j’étais hydrophobe ?
Faites venir ici un étique, et vous verrez si les petits chirurgiens ailés ne le piqueront pas. Ils songent à eux ; et tout dans la nature songe à soi et ne songe qu’à soi. Que cela fasse du mal aux autres, qu’importe, pourvu qu’on s’en trouve bien ?
Voilà le train de la vie ; l’un court à travers les ronces sans se piquer ; l’autre a beau regarder où il met le pied, il trouve des ronces dans le plus beau chemin, et arrive au gîte écorché tout vif.
Du matin au soir ils disent du mal de la vie, et ils ne peuvent se résoudre à la quitter ! Serait-ce que la vie présente n’est pas, à tout prendre, une si mauvaise chose, ou qu’ils en craignent une pire à venir ?
Quel est, à votre avis, le motif qui attire la populace aux exécutions publiques ? L’inhumanité ? Vous vous trompez : le peuple n’est point inhumain ; ce malheureux autour de l’échafaud duquel il s’attroupe, il l’arracherait des mains de la justice s’il le pouvait. Il va chercher en Grève une scène qu’il puisse raconter à son retour dans le faubourg ; celle-là ou une autre. Cela lui est indifférent, pourvu qu’il fasse un rôle, qu’il rassemble ses voisins, et qu’il s’en fasse écouter. Donnez au boulevard une fête amusante ; et vous verrez que la place des exécutions sera vide.
Quand on introduit un personnage sur la scène, il faut que son rôle soit un.
Allez, vous êtes folle ; vous avez encore une vingtaine d’années de jolis péchés à faire : n’y manquez pas ; ensuite vous vous en repentirez, et vous irez vous en vanter aux pieds du prêtre, si cela vous convient.