AVANT-PROPOS
(...) A l'époque, ce sont pourtant les services de la censure royale qui organisent la vie littéraire. Tout projet de publication doit y être soumis.
En cas d'acceptation, un "privilège" d'édition est accordé au libraire-éditeur qui présente le projet. Ce privilège lui confère un droit de propriété sur l'œuvre et sur sa reproduction, l'auteur n'ayant alors aucun droit sur son travail.
Il faudra attendre encore une vingtaine d'années, en effet, pour que le droit d'auteur prenne forme avec l'adoption des premières lois définissant la propriété littéraire, en 1791, en pleine Révolution.
Mais le secteur du livre, jusqu'ici parfaitement artisanal, est soumis à diverses évolutions techniques et commerciales. Avec l'apparition d'une bourgeoisie intellectuelle avide de lecture, la culture devient un marché. Des collections apparaissent, des maisons se spécialisent, la diffusion s'organise. (...)
Il y a peu de contrées en Europe
où les lettres soient plus honorées, plus récompensées qu'en France.
Quittons le cabinet, mes amis, brisons la plume et prenons les instruments des arts mécaniques, si le génie est sans honneur et sans liberté.
Il ne s’agit pas ici, monsieur, de ce qui serait le mieux, il n’est pas question de ce que nous désirons tous les deux, mais de ce que vous pouvez, et nous disons l’un et l’autre du plus profond de notre âme : «Périssent, périssent à jamais les ouvrages qui tendent à rendre l’homme abruti, furieux, pervers, corrompu, méchant !". Mais pouvez-vous empêcher qu'on écrive ? - Non - empêcher qu’on écrive ? – Non. – Eh bien ! vous ne pouvez pas plus empêcher qu’un écrit ne s’imprime et ne devienne en peu de temps aussi commun et beaucoup plus recherché, vendu, lu, que si vous l’aviez tacitement permis. Bordez, monsieur, toutes vos frontières de soldats, armez-les de baïonnettes pour repousser tous les livres dangereux qui se présenteront, et ces livres, pardonnez-moi l’expression, passeront entre leurs jambes ou sauteront par-dessus leurs têtes, et nous parviendront.
" La condition d'un peuple abruti est pire que celle d'un peuple brute"...
En effet, sans les rentrées journalières d’un autre fonds de librairie, comment aurait-on formé ces entreprises hasardeuses ? Le mauvais succès d’une seule a quelquefois suffi pour renverser la fortune la mieux assurée ; et sans la sûreté des privilèges qu’on accordait, et pour ces ouvrages pesants, et pour d’autres dont le courant fournissait à ces tentatives, comment aurait-on osé s’y livrer quand on l’aurait pu ?
Je vous prie, monsieur, si vous connaissez quelque littérateur d’un certain âge, de lui demander combien de fois il a renouvelé sa bibliothèque et par quelle raison. On cède à sa curiosité et à son indigence dans le premier moment, mais c’est toujours le bon goût qui prédomine et qui chasse du rayon la mauvaise édition pour faire place à la bonne.
Entre les différentes causes qui ont concouru à nous tirer de la barbarie,
il ne faut pas oublier l'invention de l'art typographique.
L'auteur est maître de son ouvrage,
ou personne dans la société n'est maître de son bien.
Une édition d’Avignon a arrêté tout court le libraire de Lyon, qui s’en applaudit, parce qu’il a mieux trouvé son compte à prendre partie de la contrefaçon étrangère.