Des économistes ont été interrogé.e.s sur l'ESS. Il s'agit de présenter d'une manière réfléchie et constructives leurs réponses. La finalité est de déterminer si, dix ans après la loi Hamon, l'ESS a pris de l'
influence - et laquelle.
D'abord le monde reconnaît qu'il n'y a pas de théorie unifiée, façon main invisible d'Adm Smith, concernant l'économie sociale et solidaire.
Charles Gide, théoricien de l'entre-deux-guerres, se démarque certes, mais il n'aurait pas fait école. Il est à noter aussi qu'aucun politique non plus n'est cité (à part, et encore timidement, et en plus de l'entre-deux-guerres encore, Jaurès). Il ressort, tristement, que l'expression d'"ESS" est, en synthèse (et toute synthèse abrase les nuances...) une manière d'évoquer une économie contestataire et minoritaire, hétérodoxe, qui s'opposerait au capitalisme, bien installé, et bien préjudiciable à la société, considéré, lui, comme orthodoxie.
Cette difficulté de signifier positivement l'ESS semble tenir à la pluralité de l'approche : s'agit-il d'une théorie ? Mais il a été dit que
Charles Gide n'a pas fait école. On peut penser que détailler la sienne commence maintenant un peu à dater, d'autant qu'il s'agit d'évoquer les conséquences de la loi Hamon...
Alors s'agit-il de droit des sociétés ? Les sociétés à mission, les SCIC sont propres à l'ESS. Mais elles ne sont pas exhaustives, beaucoup d'autres manières de s'insérer dans l'économie sociale et solidaire existent sans qu'on se réfère à ces deux modes d'organisation spécifique.
Devrait-on plutôt parler, puisqu'après tout, l'auteur de la loi est un politique, d'un projet politique ? Étrangement, les économistes ne s'étendent pas sur cet aspect et aucun ne reprend ni - c'est surprenant - les idées politiques de
Benoît Hamon, ni de celles qui ont préludé à l'écriture de la loi de 2014, ni même, en général, le socialisme... Ce ne doit pas être une politique non plus, ou pas encore, ou pas totalement.
Il reste alors à soupçonner qu'il s'agisse d'une "manière de penser", d'une "valeur", d'un "état d'esprit". Mais, ici, on conçoit bien que tout est permis et que chacun peut parler de ce qui lui fait le plus plaisir... Où l'ESS reste alors à rendre cohérente, avec les idées que son expression génère... Surtout que l'on conteste aussi qu'elle soit franco-française : le champ d'analyse doit être mondial depuis que l'ONU, le 18 avril 2023, a adopté une résolution sur l'économie sociale et solidaire (félicitations à l'
influence française à New-York !). Oui mais... c'est une idée générale, ce n'est pas tout à fait ce que l'on entend en France, c'est moins précis... Ça se complique encore... d'autant que les britanniques aussi ont leur manière de dire qui semble définir une sorte de mouvement ou d'intention qui recoupe en partie celle d'ESS... On ne va pas en sortir, mieux vaut écouter ce qu'on en dit :
Pour certains, c'est le réinvestissement des profits (qui ne vont pas prioritairement dans la poche de l'actionnaire). Pour d'autres, c'est la gouvernance démocratique et le mode de propriété collective. Pour d'autres encore, c'est la création de richesses sociales, la gestion de communs sociaux et écologiques. Certains y voient tout simplement le secteur non lucratif. Comment expliquer alors que le Crédit Agricole, une grande banque, prétendent y entrer ? Les derniers considèrent qu'il s'agit d'un mouvement séculaire utopique qui traverse les époques et se caractérise par son audace, son innovation, des formes nouvelles de coopérer... l'ESS pourrait ainsi être une manière de vouloir sortir du capitalisme et de l'économie marchande. C'est large, en effet.
Pour aider à situer, on peut se reporter aux références citées, par exemples, les théoriciens "historiques" :
Charles Gide,
Jean-Baptiste André Godin et
Pierre-Joseph Proudhon, plus rarement
Charles Fourier,
Henri Desroche,
Karl Marx,
Léon Bourgeois.
Les universitaires contemporains cités sont : Laville, Eme, Filippi, RIchez-Battesti, Draperi, Defalvard, Duverger, Demoustier, Ferraton, Tchernogog, Parodi, Gianfaldoni, Jany-Catrice, Hély, Lamarche,
Roustang, Petrella (FR) ; Ben-Ner (EU) ; Spear (UK) ; Bouchard (Québec) ; Borzaga (Italie) ; Defourny et Nyssens (Belgique).
Sont mentionnés d'autres universitaires qui inspirent les recherches sur l'ESS : Segrestin, Gomez, Favereau, Maris, Gazier, Méda, Boyer, Veltz, Pestoff, Laurent, Coutrot, Viveret, Gadrey, Lipietz, Perret, Passet
Autres universitaires qui aident à penser l'ESS : Ostrom, Granovetter, Hansmann, Hirschman,
Polanyi.
On sait où aller chercher l'info, mais, pour le moment, on n'en sait pas beaucoup plus.
Si l'on décrit alors les organisations qui en relèvent, on notent que 80% des emplois de l'ESS se trouvent dans des associations. Cela représentent 10% des emplois en France. C'est peu, mais une nette progression depuis 10 ans. Ils génèrent 6 à 7% de la valeur ajoutée. Donc ils gagent nettement moins que le reste de la population qui ne travaille pas dans l'ESS.
Cherchons alors, puisque l'ESS semble rester encore dans le domaine théorique, à savoir ce qu'elle apporte à la science économique. D'abord, le collectif, le bien commun, qui ne sont pas pensés dans la science économique dominante qui ne favorise que l'individu et le profit sans intérêt pour la valeur d'usage. Mais elle manque de structuration théorique. Pour porter vraiment, il faudrait lui donner des fondements solides. le travail sur les "communs" de la prix Nobel d'économie,
Elinor Ostrom, serait un bon point de départ. Mais cela signifierait que l'on partirait dans une conceptualisation internationale, mondiale, planétaire. Et le droit international n'est pas unifié à ce point (droit des sociétés, droits sociaux, et quoi encore). Et outre le droit, la comptabilité aussi serait à revoir.
On comprend que les besoins de travail théorique sont énormes. Problèmes : les économistes comme les écoles d'économie méprisent l'économie sociale et solidaire : difficile de trouver une direction de thèse, échec assuré à l'agrégation avec un sujet sur l'ESS, et, bien évidemment, les entreprises n'embauchent pas ceux qui ont théorisé l'importances des investissements de long terme et la distribution des profits... Mais à quoi peut bien servir l'ESS alors si elle barbe tout le monde à ce point ?
S'agirait-il, comme certains s'en attristent, d'une "béquille", d'un "sparadrap", d'un peu de douceur dans un monde de brutes, et rien de plus ? Et bien non ! On doit bien pouvoir en faire quelque chose de cette ESS. La domination du pétrodollar n'est pas inéluctable, le péril planétaire non plus, et l'organisation des sociétés humaines par Zuckerberg et consort non plus ! Cherchons bien, trouvons des outils : tiens, en voilà un...
Petite remarque critique ici de ma part sur cette fin de troisième chapitre : pour penser l'ESS et tâcher de trouver des perspectives de prise d'
influence dans le monde de demain, il est proposé une analyse... SWOT : l'outil de base de toute entreprise capitalistique décidée à atteindre un objectif univoque - et pas à n'importe quel prix - qui établit son positionnement marketing selon l'état du marché et de la concurrence pour évaluer ses forces, ses menaces, ses opportunités et ses menaces... Ce n'est plus un constat d'impuissance, c'est une banqueroute, une déprime, une déréliction... D'autres solutions que reprendre l'outil phare du capitaliste profiteur doivent bien exister pour penser la théorie anticapitaliste non lucrative, non ?... (dis oui, allez, dis oui, dis oui !)
Oui, il faudrait revoir le calcul du PIB...
Ah lala, oui, en effet, en conclusion, on convient également de cette lacune théorique... Comme dit l'un des interrogés : "Enfin, pour moi, une des grandes faiblesses de l'ESS, c'est que les politiques ne s'en emparent pas comme projet de société". C'est vrai. Il manque un brin de souffle, une inspiration à l'ESS, un vent de panique peut-être... La pratique viendrait alors opportunément au secours de la théorie... il suffit d'attendre, cela va venir... [sic]