Dommage !
Marc Dugain m'avait fait bonne impression avec son roman sur les gueules cassées (cf. mon commentaire sur Babelio). Là, cet écrivain doué s'est embarqué sur une critique tout azimut de l'IA, des GAFA, du transhumanisme, de la mondialisation. Qui trop embrasse... Péremptoire, il affirme, il établit des liens rapides... ô combien fragiles ! Il cite sans contextualiser, il ne précise pas ses sources - ou alors il s'appuie sur des philosophes, des psychanalystes et toutes sortes de documents qui laissent une large place à l'appréciation personnelle, ou dont la fiabilité laisse à désirer (par exemple des articles d'opinion dans des journaux : on n'appuie pas une thèse sur ce que disent des journalistes). Jusqu'à la "psychose" du fondateur de Facebook : il n'a pas honte à faire appel aux arguments les plus douteux pour convaincre.
Ce n'est pas qu'il n'énonce que des contre-vérités, loin de là. Mais son point de vue est superficiel, mal informé. Ce n'est pas en multipliant citations et références qu'il nous convaincra. La faiblesse de ce livre, c'est l'absence de contrepoint, l'absence d'enquête de terrain, l'absence de profondeur, celle du véritable chercheur.
Où sont les pour et les contre ? Où sont les statistiques vérifiées, où sont les informations re-recoupées ? Où sont les avis nuancés ? On en cherchera longtemps dans ce livre peu subtil.
Tiens, par exemple, l'extrême violence de la lutte entre USA et Chine en termes d'information est-elle envisagée (sachant comment la Chine gère son big data) ? Pas une fois : on dirait que la Chine n'existe pas dans le monde des Bisou-Loups de Dugain. Nous sommes en guerre - guerre économique, guerre de l'information technologique, guerre du renseignement, et même en partie guerre militaire. La comparaison entre le sacrifice de nos vies privées et celui de la vie (tout court) des soldats de la guerre 1914 ne serait-elle pas à méditer ? Apparemment pas. Or, prendre ma vie privée ou prendre ma vie, ce n'est pas tout à fait pareil, même si ni l'un ni l'autre ne me fait envie.
Bref, on nage en plein manichéisme. Il y a d'un côté les méchants (les USA, les très riches...) et les gentils (nous, forcément).
Pourtant personne ne passe ses journées sur Facebook, ou à jouer sur internet avec un pistolet sur la tempe. Il y a l'offre (et la pub push), certes. Mais il y a aussi la demande. Peut-on imaginer dans l'homme une faiblesse intrinsèque qui le porterait à consommer de la m... ? L'homme ne serait pas naturellement guidé par l'envie du meilleur ?
Allons donc ! S'il regarde Facebook à longueur de journée, s'il est si passif devant le pompage éhonté des données personnelles, s'il obéit si servilement aux incitations du marketing et de la consommation, c'est qu'il y trouve plaisir. Il participe, il adhère, il approuve, il like et il en redemande... Car c'est un animal complexe, admirable par certaines réalisations... mais intrinsèquement défectueux. Il n'a donc que ce qu'il mérite !