" Vous savez, une carrière, c'est mystérieux. Plus on la veut moins on la fait."
Remarques sur les voix 3 et 4
Les voix 3 et 4 sont des voix d'hommes. Rien ne les lie que la fascination qu'exerce sur elles l'histoire des amants du Gange, surtout, encore une fois, celle d'Anne-Marie Stretter.
La voix 3 ne sait presque plus rien de la chronologie des faits de l'histoire. Elle questionne la voix 4 qui la renseigne.
La voix 4 est, de toutes les voix, celle qui a le moins oublié l'histoire. Elle la sait presque tout entière.
Mais la voix 3, si elle a presque tout oublié, RECONNAIT tout à mesure que la voix 4 la renseigne. La voix 4 ne lui APPREND RIEN qu'elle n'ait su avant, quand elle savait , elle aussi, très bien, l'histoire des amants du Gange. La différence entre les voix 3 et 4, entre l'oubli, ici, et la mémoire, là, relève d'une même cause : cette fascination dite plus haut qu'exerce l'histoire sur ces deux voix. La voix 3 a rejeté cette fascination. La voix 4 l'a tolérée.
Acte III
NOIR
Au piano, un air d'entre les deux guerres, nommé India Song.
Il est joué tout entier et occupe ainsi le temps - toujours long - qu'il faut au spectateur, au lecteur, pour sortir de l'endroit commun où il se trouve quand commence le spectacle, la lecture.
Encore India Song.
Encore.
Voilà, India Song se termine.
Reprend. De plus "loin" que la première fois, comme s'il était joué loin du lieu présent.
India Song joué cette fois, à son rythme habituel, de blues. Le noir commence à se dissiper.
Tandis que très lentement le noir se dissipe, voici, tout à coup, des voix. D'autres que nous regardaient, entendaient ce que nous croyions être seuls à regarder, entendre. Ce sont des femmes. Les voix sont lentes, douces. Très proches, enfermées comme nous dans le lieu. Et intangibles, inaccessibles.
(Entendre et prononcer : Voix une, Voix deuxième.)
VOIX I
Il l'avait suivie aux Indes.
VOIX 2.
Oui.
Temps.
VOIX 2
Pour elle il avait tout quitté.
En une nuit.
VOIX 1
La nuit du bal... ?
Montée de la lumière, toujours. India Song, toujours.
Les voix se taisent longtemps. Puis reprennent :
VOIX 1
C'était elle qui jouait du piano ?
VOIX 2 (hésite)
Oui... mais lui aussi...
C'était lui qui, parfois, le soir, jouait au piano cet air de S.Thala...
Silence.
Acte I
Le Jeune Attaché (J. Attaché) et le Vice-consul (V.-consul) parlent :
V.-CONSUL : C'est difficile évidemment, mais quoi pour vous, précisément ?
J. ATTACHE : La chaleur, bien sûr... mais aussi cette monotonie... cette lumière... aucune couleur...
Je ne sais pas si je m'habituerai...
V.-CONSUL : A ce point ?
J. ATTACHE : C'est-à-dire... J'étais sans a priori à mon départ de France... mais vous... ? avant Lahore ? auriez-vous préféré autre chose... ?
V.-CONSUL : Rien. Lahore était ce que je voulais.
Silence.
Puis, India Song.
Un homme et une femme parlent (bas) :
- Vous avez entendu ?
- Mal. J'ai compris : "Lahore était ce que je désirais"...
- J'ai entendu : "...ce que je... ce que j'avais..."
- (D'une traite :) Dans le rapport on dit qu'on le voyait, la nuit, par la fenêtre de sa chambre, marcher, comme en plein jour... parler... seul... toujours...
- ... La nuit comme en plein jour...
- Oui...
Silence.
Acte II
On la dirait... prisonnière d'une sorte de souffrance.
Mais... très ancienne... trop ancienne pour encore l'attrister...
LUI
Calcutta est devenue pour moi une forme de l'espoir.
ELLE
J’aime Michael Richardson.
Je ne suis pas libre de cet amour.
LUI
Je le sais.
Mais je vous aime ainsi. Dans l’amour de Michael Richardson.
L’histoire est une histoire d’amour immobilisée dans la culminance de la passion. Autour d’elle, une autre histoire, celle de l’horreur – famine et lèpre mêlées dans l’humidité pestilentielle de la mousson – immobilisée elle aussi dans un paroxysme quotidien.
Ce n’est ni pénible ni agréable de vivre aux Indes. Ni facile ni difficile. Ce n’est rien… vous voyez… rien…
[...]
Oui, il était tard, et la mer était forte, il était impossible de nager mais seulement de recevoir la douche tiède des vagues.
Elle s’est baignée avec lui.
LUI
Je ne savais pas que vous existiez.