Le pastiche n'est pas un art facile. Il demande beaucoup de qualités concomitantes que les écrivains n'ont pas toujours : il faut bien écrire (ben oui, il y a aussi des écrivains qui écrivent mal ! non, je ne donnerai pas de nom), et il faut avoir une excellente connaissance de l'auteur pastiché : de son oeuvre et de son style, bien sûr, mais aussi de sa personnalité, de ce qui fait sa touche personnelle et unique.
Avec « Les Mémoires de
Mary Watson », paru en 1980,
Jean Dutourd s'est fait plaisir. Lui, dont le domaine est plutôt l'observation sarcastique de ses contemporains, poussant parfois jusqu'à la satire, voire la polémique, il s'essaye ici dans un genre nouveau pour lui : il décide de faire un énième pastiche de
Sherlock Holmes. Il n'est pas le premier avant lui, d'autres s'y sont essayé, certains même avec un certain succès :
Maurice Leblanc («
Arsène Lupin contre Herlock Sholmès »),
Jean Ray (« Les aventures de
Harry Dickson »),
Ellery Queen («
Sherlock Holmes contre Jack l'éventreur »),
Nicholas Meyer (« La solution à 7 % » où
Sherlock Holmes rencontre
Sigmund Freud) et bien d'autres…
Dutourd se base sur une des premières aventures de
Sherlock Holmes, « le Signe des Quatre » : Une jeune femme, Mary Morstan, vient trouver le détective pour résoudre une énigme où son père est mêlé. Et voyez comme le destin est capricieux, elle rencontre à cette occasion le docteur Watson qui assiste Sherlock dans toutes ses enquêtes. Les deux jeunes gens tombent amoureux et c'est le début d'une vie pas banale où l'on croise en plus de l'homme à la pipe et au violon (et à la cocaïne, ça devrait vous rappeler quelqu'un), un certain
Oscar Wilde, Moriarty, bien entendu, et aussi
Verlaine ou Mallarmé.
Jean Dutourd, avec l'esprit qu'on lui connaît, s'amuse comme un petit fou. Il n'est pas, bien sûr, un auteur de romans policiers, alors l'intrigue, on s'en doute, est un peu tirée par les cheveux et se calque très exactement sur celle de
Conan Doyle. Mais il la présente de façon si subtile, si spirituelle, qu'on se laisse facilement envoûter par cette histoire, véritable hommage à l'écrivain anglais, roman (presque) historique (la documentation est de première qualité) et la romance est sympathiquement racontée…
Une oeuvre fort honorable donc, faute d'être un chef-d'oeuvre. Il faut la voir comme une parenthèse enchantée dans la production habituelle de
Jean Dutourd, une fantaisie gentille et originale, il s'est fait plaisir et il nous a fait plaisir.
A lire toutefois pour le sujet, et aussi pour la beauté de la langue. On ne dira jamais assez combien Dutourd est un merveilleux prosateur. On sait l'attachement qu'il avait pour la langue française qu'il défendait bec et ongles contre les agressions dont elle était l'objet (j'imagine douloureusement la tête qu'il ferait de nos jours devant la mise à mort de cette même langue devant l'anglicisation à outrance, la généralisation de la vulgarité, le verlan, j'en passe et des pires)… Lire Dutourd est toujours une jouissance (même si l'on n'est pas toujours d'accord avec ce qu'il dit).
Bon, puisque c'est vous, encore une histoire de
Sherlock Holmes :
« Alors mon cher Watson, vous n'avez pas mis votre caleçon aujourd'hui ?
- Ça, alors, Holmes, mais comment avez-vous deviné ?
- Elémentaire, mon cher Watson, vous avez oublié aussi votre pantalon ! »