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Critique de Pistolero


LE CRÉPUSCULE DES ANNÉES 80 - Les éclats de Bret Easton Ellis, ed. Robert Laffont
Retrouver les personnages anesthésiés de Bret Easton Ellis en 2023 peut sembler anachronique. Tout ce qui résonnait comme une évidence à la sortie de Moins que zéro premier roman de l'auteur américain en 1986, fait aujourd'hui partie d'un monde engloutie, une époque révolue, un fatras parfois embarrassant de clichés, de couleurs et de sons aujourd'hui recyclés et mis en boîte dans la plupart des productions vintage millésimées 1980 qui ont tellement le vent en poupe actuellement (et pour cause, tous les décideurs culturels actuels avaient 16/17 ans à cette époque). de Stranger Things au retour de la musique new wave - renommée post-punk (un revival entamé avec l'electroclash en 2000 qui dure depuis près de 20 ans maintenant) - en passant par l'ambiance politique ultra libérale qui privilégie le marché contre l'individu, tout est fait pour donner l'impression que notre époque rejoue en boucle cette décennie aussi honni que vénérée. C'est le paradoxe de notre époque, les 80's sont derrière nous mais il n'a jamais été aussi difficile de leur échapper.
Pour les mêmes raisons, à l'annonce d'un nouveau roman de Bret Easton Ellis, auteur lui aussi détesté et adoré a égale mesure, la question se posait : allions nous prendre autant de plaisir à retrouver son univers asphyxiant, 40 ans aprèsMoins que zéro et Les loi de l'attraction ? Rien n'était moins sûr. de l'eau est passée sous les ponts depuis les premiers « éclats » de cet auteur qui reste exceptionnel quoiqu'on en dise (relisez American Psycho!) et l'intéressé semblait de toute façon avoir déjà signé son épitaphe avec l'excellent Lunar Park. Pour faire court, après la lecture du très décevant Imperial Bedroom il y a 13 ans, nous n'attendions plus vraiment le « retour du maître » avec autant de ferveurs que certain.e.s.
Alors qu'en est-il du « chef d'oeuvre » commenté par la critique ? le moins que l'on puisse dire c'est qu'il prend son temps pour commencer (au moins 78 pages). Alors que Moins que zéro innovait en décrivant (et décriant) dans un style volontairement atone le mode de vie superficiel de l'adolescence californienne des 80's en prenant à rebrousse poil la propagande strass et paillettes de l'époque, il faut avouer que l'on a un peu de peine à raccrocher les wagons avec le style volontairement amorphe d'Ellis, et surtout à s'intéresser aux « activités » du personnage autofictionnel (?) nommé Bret, 40 ans après. Livre de souvenirs (si tant est que ce livre soit vraiment pen partie biographique - ce qu'il n'est pas évidemment, la réalité et la fiction y étant intimement mêlée), somme nostalgique de 600 pages, Les éclats informe assez vite sur la direction que va prendre son auteur : pour partie Stephen King sous Xanax (un auteur que le « Bret » du roman - lui aussi écrivain - cite régulièrement), pour partie Moins que zéro (ou Zombies) et enfin pour partie American Psycho, Les éclats rejoue, comme on rejoue les 80's aujourd'hui, différents moments de la carrière de son auteur (avec un zeste de Lunar Park pour la dimension autofictionnelle présumée).
On y retrouve comme dans ses premiers romans une bande de riches ados paumés (Bret conduit, soit une Jaguar pour se rendre en cours, soit une Mercedes 360SL, le malheureux, ce qui, en ces temps socialement surchauffés rend l'empathie difficile), des scènes de suburbs, des scènes de lycée, beaucoup de dialogues de sitcoms romantiques des années 80, un tueur en série, du sexe cru, des ambiances glauques, des descriptions vestimentaires (qu'on aimait tant, mais qui fatiguent désormais) à n'en plus finir, une pseudo normalité qui dérape doucement et bascule dans l'horreur. Les éclats est un mix donc : « Ellis meet Stephen King ».
Ceci étant, l'aspect éreinté du roman - qui est évidemment volontaire - est aussi étonnamment une des plus grandes force du livre qui fini par hypnotiser de façon pernicieuse et assez maline. Les phrases plates répétées comme des mantras, l'enquête que Bret, 17 ans, mène malgré lui, évoquent parfois des scènes du Privé épuisé de Robert Altman (incarné par Eliott Gould) où les ambiances paranoïaques de l'American Gigolo de Paul Schrader (influence cinématographique majeur de Bret Easton Ellis, dont le « Julian » a été un modèle pour le « Clay » de Moins que Zéro). Passé l'agacement initial on entre dans Les Éclats avec le même plaisir étrangement mêlé d'ennui que dans un roman de Chandler (que j'adore, Ellis aussi, mais là n'est pas le sujet). Et de fait, le titre de ce nouveau BEE aurait bel et bien pu être le Grand Sommeil.
Tout cela fait des Éclats un roman malin mais certainement pas totalement indispensable. Son auteur se complaît parfois un peu trop dans une nostalgie dont on hésite à dire qu'elle est, soit émouvante, soit pathétique. Ellis ne semble plus capable de sortir de son univers passéiste. On connaît bien sa tête d'ado de presque soixante ans et c'est déjà assez troublant, mais à la lecture des Éclats on se sent parfois carrément peiné pour cet auteur-personnage qui n'arrive pas à vieillir.
Si Les éclats est vraiment à l'origine de quelque chose de réellement intéressant c'est peut être qu'Ellis signe ici ce qui pourrait être le crépuscule du revival 80. Les Éclats serait la queue de comète de ce mouvement nostalgique incarné par une génération de plus-que-quinquas qui se regardent le nombril de façon un peu morose et morbide sans réussir à intégrer que pour ces représentants d'une génération censément « éternellement jeune » tout est bien fini. Qu'ils ont (que nous avons) vieillis et qu'il va peut-être falloir passer la main. Une difficulté à être au monde qu'affichait déjà White, son précédent ouvrage, et qu'Ellis confirme avec Les éclats.
J'aurai adoré ce livre dans les années 80.
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