Au printemps 1929, Fernando de los Ríos propose à Federico Garcia Lorca de l'accompagner à New-York. Ce dernier accepte d'y donner des conférences, désireux de changer de vie. Bouleversé par sa rupture avec Emilio Aladrén, il pense pouvoir donner un nouveau souffle à sa poésie et pourquoi pas, prendre des cours d'anglais. De los Ríos et Garcia Lorca embarquent sur l'Olympic, superbe transatlantique, jumeau heureux du Titanic, et arrivent dans le port de New-York le 26 juin. Lorca quittera les Etats-Unis pour l'île de Cuba en mars 1930 mais restera profondément marqué par son séjour. Ses impressions de voyages, Poeta en Nueva York, seront publiées à titre posthume en 1940. Lorca dira de ce voyage qu'il fut l'une des expériences les plus utiles de sa vie. Rejetant le capitalisme et l'industrialisation, le poète ressent dans sa chair la déshumanisation de cette société en pleine mutation, la violence de la ségrégation exercée sur les noirs américains et recherche désespérément dans les rues de la Grosse Pomme la fraternité, la justice, l'équité, et surtout l'amour.
C'est cet épisode court mais intense de la vie de Lorca qu'un jeune auteur, Carles Esquembre, a choisi d'évoquer dans un très beau roman graphique. Lorca. Un poeta en Nueva York est un album en noir et blanc d'une grande force, pétri d'onirisme et de poésie. Si l'ouvrage obéit à une structure classique, chronologique, dans lequel le dessinateur croque les rencontres, les visites, Coney Island, Wall Street, Harlem …, il fait aussi la part belle aux rêves de Lorca, à ses cauchemars, à ses hallucinations. Esquembre nous offre des planches de toute beauté dans lesquelles l'imagination du poète jaillit avec une force rare. La jungle apparaît sur la piste de danse du Smalls Paradise, la révolte prend corps sous les traits de sa plume, une fourmi géante le jette dans l'abîme... J'ai adoré toutes ces expériences surréalistes merveilleusement restituées par Esquembre. On ressent dans Lorca. Un poeta en Nueva York la force des obsessions qui en font une lecture désormais indissociable de l'oeuvre du poète andalou: " La impresión de que aquel inmenso mundo no tiene raíz, os capta a los pocos días de llegar y comprendéis de manera perfecta cómo el vidente Edgar Poe tuvo que abrazarse a lo misterioso y al hervor cordial de la embriaguez en aquel mundo."
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