Recueil de poèmes d'amour passionnés pour le corps et le coeur de l'aimée, mais qui évoquent aussi l'amour perdu, ou le « malamour », pour ce même corps et ce même coeur, ainsi que les sinuosités ou les ambigüités du même amour.
J'ai commencé à lire ce recueil de poésie en me fiant à la notoriété de cet écrivain qui avait eu droit à une biographie dans la grand encyclopédie Larousse dès le milieu des années 1880. le beau titre de ce recueil m'avait aussi guidé : « corps » vient avant « coeur, mais tous deux sont associés et semblent inséparables. Aujourd'hui, cet écrivain est considéré pour son oeuvre de romancier, pour sa carrière de journaliste, ainsi que celle d'essayiste, et seulement en dernier comme poète.
L'ouvrage en question ne comporte pourtant que des poèmes, et il en compte plus d'une bonne centaine ! Il méritait donc d'être exploré, d'autant que les aspirations spirituelles de l'auteur (qui avait dirigé par le passé et pendant plus d'une décennie le journal
La Croix) pouvaient être considérées comme un gage de sérieux.
L'ouvrage se compose de trois parties :
La première partie ; intitulée « Blason » comporte exactement 43 sonnets où s'exprime un amour « éperdu » avec pour épicentre le corps de l'aimée, dont le modèle avoué est l'oeuvre de
Maurice Scève (« Blason d'un corps féminin » ). Disons-le d'emblée : c'est beau, cela résonne très fort, même si la forme rimée et très classique (les vers sont soit des alexandrins, soit des décasyllabes ou des octosyllabes), ainsi que l'érudition de l'auteur, font que cela frise parfois la préciosité ou même le pédantisme. Mais la belle allégorie du sculpteur (poème XVI) et la simplicité et la tendresse qui suit (poème XX) ne font pas douter de sa sincérité.
D'autant qe la deuxième partie, intitulée « Malamour » comporte 57 poèmes tout aussi forts, mais épelant un amour « perdu », qui a succédé au premier chant si passionné. La sincérité qui émane de cette série éclate encore une fois aux yeux du lecteur. Quand le poète écrit que « tuer un amour n'est pas si facile » (poème LXXXI), on en est convaincu. de même que lorsqu'il écrit que « la plus grande tendresse ne vaut pas le plus petit amour » (poème LXXXIX). La simplicité et l'authenticité de ces poèmes les rendent plus proches pour le lecteur. Connaître les références spirituelles de l'auteur permet aussi au lecteur de comprendre qu'un poème puisse presque devenir « liturgie » (poème XCIX). Bref, c'est beau, et on est convaincu d'avoir affaire à un vrai poète.
D'où vient alors la relative déception à la lecture de la troisième partie, intitulée « Elégies et Romances » et formée de 29 poèmes, à la forme plus libre et où alternent visions heureuses et tourmentées du même amour ? Peut-être est-ce la forme plus libre d'un auteur plus à l'aise quand il se donne des règles strictes, ou peut-être est-ce une toute autre raison, plus subjective ? En tous les cas, aucun de ces poèmes n'a atteint pour nous le sommet gravi par certains sonnets des deux premières parties.
En conclusion, si l'on a bien lu, il semble que l'amour chanté ici, puis désenchanté, a duré cinq bonnes années, et que ces poèmes pourraient bien être le fruit d'un nouveau plongeon du poète dans cette période de sa vie, avec une discrétion telle concernant les faits que tout pourrait bien être imaginaire. Mais, au vu de la biographie de l'auteur, au vu de son projet littéraire, il semble bien au contraire que tout cela a été vécu, et si profondément vécu, que le poète a pu encore le chanter tant d'années après, à l'aube de sa vieillesse. On lui en sera en fin de compte reconnaissants sans autre état d'âme.