L'absence de quelqu'un est parfois plus perceptible que sa présence, surtout lorsqu'elle se traduit par un léger élan de l'âme réclamant la personne absente.
Le mirage de la renommée devint un miroir déformant par lequel elle se mit à interpréter le monde qui l'entourait. Elle cessa de se comprendre et de comprendre sa réalité précisément au moment où elle aurait pu commencer à le faire.
Elle adorait particulièrement qu'il sache cuisiner. L'apparition des plats sur la table produit toujours un effet magique sur ceux qui ne les ont pas préparés.
La première chose que voit Ruth, c'est le plafond . Plaques grises et carrées qui jalonnent un chemin vers l'infini. Néons. Lumière étrange, fantasmagorique, sulfureuse. Affreux éclairage jaunâtre et zénithal, lumière lente, fanée, épaisse et laiteuse. Odeur presque palpable de désinfectant.
La forme se lève de sa chaise et s'approche de Ruth, qui reconnaît la voix douce de Pedro, cette voix réconfortante et familière comme le murmure d'une fontaine.
Voix musique dont les notes ramènent le calme, voix qui berce, ruisseau transparent du pays des nymphes.
Sara contemplait éblouie un tableau dont les tons rappelaient le pelage de son siamois. Ruth ne put s'empêcher de se demander si Rothko plaisait Juan. Il n'y avait pas si longtemps, elle aurait garanti que Juan adorait Rothko. Mais, en réalité, elle n'en était pas si certaine, elle ne se souvenait pas qu'il ait jamais exprimé un avis sur le peintre, ni même qu'il ait semblé le connaître. Ruth avait supposé que Juan appréciait Rothko du simple fait qu'elle l'aimait elle. Elle avait prêté à Juan un goût artistique d'une grande finesse mais, au fond, elle n'avait jamais visité d'exposition avec lui. Ce n'était pas Juan qu'elle avait aimé mais l'idée qu'elle s'était forgée de lui. Elle avait aimé un concept, une image créee par elle. Elle s'était aimée elle-même à travers lui, et son amour n'avait été qu'un mirage, une projection, une illusion.
La dépression était son pain quotidien, assaisonné à l'huile de la peur et au sel de l'autocompassion.
Avec Biotza, Juan ne connaissait ni la fièvre de la passion ni l'égarement des sens mais une tendresse nourrie de tranquilles habitudes. Il n'avait ni à se battre ni à souffrir pour l'avoir. Elle lui était acquise.(...) Ainsi s'écoulaient les jours, paisiblement, Juan ayant réintégré le rang des gens calmes et de bonne composition pour qui le mieux est l'ennemi du bien.
L'envieux a désespérément besoin de rabaisser les mérites de celui qui réussit, ainsi, par comparaison, se sentira-t-il moins inférieur.
Un jour, elle observa l'ombre que projetait le présent sur le futur. L'image d'elle-même étirée en perspective, silhouette difforme et brisée, retint longuement son attention, lui suggérait mille pensées troublantes et mortifiantes car elle ne voulait pas être la personne qu'elle était manifestement en train de devenir. Jusque-là, se disait-elle, elle s'était contentée d'être irréfléchie et passive comme une poupée, un jouet dépourvu de pensées propres, docile en matière de sentiments, facilement manipulable.