C'est d'une histoire et d'une lecture émouvantes que je vais traiter ici. Andoni La fuite m'a été proposé comme lecture par Anaelle, que je tiens à remercier pour le choix de lecteur et de commentateur qu'elle a fait en me contactant.
Andoni, de Marc Etxeberria-Lanz est du genre à marquer, parce que le contenu est sensible.
Nous sommes à la veille du début des hostilités que nous connaissons sous le nom de guerre d'Espagne (dont le début se situe durant l'été 1936). Ici, nous sommes au Pays basque, et l'insouciance qui y règne n'empêche pas le climat politique de s'alourdir et les menaces de s'étendre comme noirs nuages à l'horizon.
Deux garçons s'adonnent à leur passion bien innocente pour le ballon rond dans un square d'Irún, mais l'esprit de l'un d'eux, Andoni est ailleurs. Distrait par d'inquiétantes nouvelles ou rumeurs qui courent et qui laissent entendre que l'on est alors au bord d'un conflit, Andoni laisse son ami mais concurrent Telesforo marquer un but dans la cage qu'il défend, alors qu'à son habitude il pare toutes les attaques et tous les coups.
Voici pour les brèves présentations de ces deux enfants. Encore faut-il préciser que le second, Telesforo est le fils d'un juge, don Javier Gonzalo, qui, par opportunisme, fréquente les milieux d'influence basques alors que ses préférences iraient plutôt aux partisans de l'ordre et de la manière forte, mais enfin, pour le moment, on est en paix et en République, et cette volonté de faire sa place l'amène à composer avec Iñigo Larunari-Atxeari, le père d'Andoni, un militaire, qui, lui, a ses entrées dans le cercle étroit de l'aristocratie basque. le tableau serait complet si l'on n'évoquait la sublime épouse d'Iñigo, Ana, dont il va bientôt être question mais qui est l'objet des désirs secrets du juge douteux qui s'est approché de ce couple. Ajoutons encore, et cela nous convaincra que le pire est à craindre, que ce don Javier est vraiment un hypocrite de la pire espèce, qui, n'a au fond de lui que désir de régler leur compte aux gens, par méchanceté gratuite et sans raison autre que son aversion dissimulée pour son semblable humain et que son envie de ravir à Iñigo sa belle compagne tant convoitée.
Don Javier vient à apprendre que le général Mola, que l'on croyait être dans le camp des loyalistes républicains et qui venait tout juste de repousser l'offre qui lui avait été faite d'occuper le poste très envié de ministre de la guerre, s'apprêterait, dit-on, à bouger contre le régime républicain dans le nord de l'Espagne et qu'il aurait en tête de mater les nationalistes basques. le juge ne serait-il pas en train de se mordre les doigts d'être pour le moment du mauvais côté de la barrière et n'aspirerait-il pas à basculer dans le camp du général Mola ? Telles sont les questions légitimes que l'on peut ici se poser.
Et c'est dans le même temps que nous faisons connaissance avec l'épouse d'Iñigo, qui s'est prise d'amitié pour un grand restaurateur, Celso, lequel cache à tout le monde sous cette apparence sa véritable identité, celle d'Ernio, chef de la police politique du Partido Nationalista Vasco, le parti nationaliste basque. Car Celso et son amie le sentent, la guerre se prépare entre ceux qui en tiennent pour la liberté des Basques et ceux qui voudraient recréer le royaume de Navarre comme au Moyen Âge, les Carlistes.
Ana, plus que d'autres, pressent que, dans cet engrenage fatal, l'avenir est déjà écrit, celui de la défaite des Républicains et des Basques et celui de la victoire plus que probable de leurs ennemis, le général Mola et ses pairs ainsi que les Carlistes.
Aussi, tremblant pour ses enfants et elle-même, n'a-t-elle plus d'autre idée que de fuir avec eux en France avant que le pire n'arrive. Telle est l'idée qui germe dans l'esprit d'Ana et qu'elle veut soumettre à sa petite tribu. Sauf Iñigo qui devra rester sur place, parce qu'un militaire ne saurait déserter, la mère et ses enfants partiront, cela est décidé et il n'y a plus à y revenir. Cela donne lieu à une discussion en famille où les plus petits des enfants, Pablo et Andoni, ne comprennent pas tout, mais lors de laquelle ils sentent que se prépare une grande transformation dans leur vie. Diego leur frère aîné, lui, comprend plus encore ce que cela signifie. Elle balaie toutes les solutions possibles et n'en voit qu'une seule acceptable, celle de rechercher l'aide des membres de la famille installés en France, et de se réfugier d'abord chez sa cousine Dolores qui vit alors près de la frontière, à Espelette. C'est en femme lucide et en mère attentive qu'elle prend ces fermes décisions. Reste à mettre à exécution ce plan de fuite, dont les détails cartographiques ont été planifiés par Celso. À Iñigo, son cher mari, elle prescrit de rejoindre sa caserne et d'agir en bon défenseur de la cause basque, mais sans s'exposer plus que de raison, dans l'espoir qu'il lui revienne. On se prend dans les bras, mais sans trop s'apitoyer sur soi-même, si on le peut. Les enfants sont couchés et leur mère leur fait la bise à chacun pour les rassurer.
Le 20 juillet 1936, Celso et Antonio, frère d'Ana, chargent dans un camion tout ce que celle-ci a cru nécessaire de faire passer de l'autre côté de la frontière pour elle et ses enfants, vêtements, linge, machine à coudre, baignoire, etc. Celso et Antonio filent vers la Navarre pour n'avoir pas à subir de contrôle policier. Normalement, Celso devrait rester à officier dans son restaurant, et accessoirement ou essentiellement plutôt travailler pour le triomphe de la cause basque, en surveillant le juge Gonzallo, par exemple, susceptible de passer avec armes et bagages du côté des ennemis de la République. Mais non, il réussit à convaincre ses supérieurs de le laisser rendre service à Ana à qui il doit la rencontre de sa vie avec Paquita. Les deux hommes progressent en territoire ennemi et sont sur leurs gardes. Rien à signaler jusqu'à Echalar, mais après ? On trouve bientôt sur le chemin deux gardes à moitié endormis, on les assomme et on leur règle leur compte à coups de pistolet mais en enroulant les bérets des sentinelles autour de l'arme pour amortir le bruit. Un peu après, deux autres soldats surgissent des ténèbres et doivent être abattus avant de comprendre ce qui arrive. Alertés par les coups de feu, deux autres Carlistes sortent armés de la mairie d'Echalar, et sont tout aussi rapidement mis hors d'état de combattre. Un gros homme en robe de chambre, le maire, qui a assisté à la scène est rattrapé par Antonio et tué sur place. Celso et Antonio n'attendent pas la réaction des autres forces armées présentes dans le secteur, et, remontant à bord du camion, se frayent tant bien que mal un chemin hors de la localité. Remis de ses craintes, Antonio marque son étonnement devant tant de sang-froid chez Antonio et des traits de caractère ainsi qu'un savoir-faire avec une arme qu'il ne connaissait pas à Celso. Mis en confiance, ce dernier prend le risque de révéler à Antonio qui il est en réalité, pour leur permettre de continuer la route sans plus se poser de questions. Sidéré sur le moment, Antonio se dit que le temps de l'action n'est pas encore terminé et que celui de la réflexion viendra plus tard.
On franchit le col d'Urbia et l'on a devant soi le Mendibil. Soudain, on avise un campement militaire que l'on ne peut éviter et l'idée qui vient immédiatement est de passer au travers et de foncer droit vers Zugarramurdi, pour atteindre le dernier village avant l'arrivée en France. Mais parvenu dans cette bourgade, Celso bifurque volontairement sur la gauche pour gagner la propriété d'une amie - on peut en trouver quelques-uns sur sa route - : doña Isabel, "agent" du PNV tout comme lui. de là, après un bref échange, les deux hommes trouvent le moyen d'arriver en France, ni vus ni connus, avec leur chargement. Et l'on se rend chez les cousins d'Ana, Dolores et Jean, pour y cacher le camion et déposer chez ces derniers tout ce qu'ils sont venus y apporter, en vue de l'arrivée d'Ana et de ses fils. Celso et Antonio se font leurs adieux : le premier va repasser dès le lendemain la frontière via Hendaye et aller affronter son destin, le second va aller s'embaucher dans une ferme des environs.
Et pendant ce temps-là, Ana est à Fuentarrabia, en attente de traversée de la baie de Chingoudy. Elle jette un bref regard en arrière, mais il n'est pas temps de se laisser gagner par la nostalgie. Il faut avancer. Tous ont un sac chargé de provisions.
"Et nul ne se préoccupait de l'escapade clandestine des premiers parias de cette guerre qui n'en était encore qu'aux prémices. Ana avait juste devancé les affres de la barbarie", écrit l'auteur. D'ailleurs, au loin, signe que les choses se gâtent, une explosion se fait entendre. le pont d'Endarlatza vient de sauter, et c'est l'un des premiers signes du déclenchement des hostilités.
S'aidant l'un l'autre, Diego et sa mère finissent par repérer le sentier qui figure sur leur plan. On fait l'ascension de l'Askopé, la montée est raide et l'effort est rude, mais cela va mieux ensuite. On a de la chance, car on ne rencontre dans le secteur ni militaires espagnols ni gardiens de l'ordre français. Les enfants se montrent sages et obéissants, ils suivent leur maman sans broncher. Mais, tout à coup, rompant ce calme apparent, Andoni est pris de sanglots : il prend conscience qu'il ne reverra plus tout ce qu'il a connu et qu'il va s'enfoncer dans une terre étrangère, où rien ni personne ne lui est familier. Ana le prend dans ses bras maternels pour le réconforter. Puis l'on se remet en route et l'on cherche un refuge pour la nuit. Cet abri sera une borde aménagée par un berger pour lui et ses moutons, mais présentement inoccupée.
Après le repas pris sur les réserves, Ana réunit ses fils pour les féliciter d'avoir marché sans se plaindre ; elle leur explique que cela va encore durer quelques jours, qu'il faudra emprunter les chemins de crête pour éviter la maréchaussée, surtout sans papiers en règle, mais que la langue basque sera un bon laissez-passer si on rencontre d'aventure quelques bergers. En attendant, il ne reste plus qu'à dormir et qu'à effacer les traces de son passage. Un seul ne trouve pas de suite le sommeil, Andoni, et l'on recueille au passage ses impressions enfantines dans la douceur de cette nuit qui le berce comme une mère, avec un courant d'air frais qui lui frôle la joue. Tout un monde à découvrir, sur lequel les paupières de l'enfant se referment pour ces quelques heures de repos. le matin, la marche reprend. On se désaltère d'une eau pure et rafraîchissante à la source du col des Trois Fontaines et l'on découvre un fortin en s'approchant de la baie de Saint-Jean-de-Luz, les petits y jouent à faire la guerre et leur mère n'a pas le coeur de les en empêcher. S'ils savaient...
Sur la piste, Ana maudit le Ciel de ne pas lui venir en aide, et c'est alors qu'elle voit un berger qui lui propose, en parler basque, de les conduire jusqu'à son cayolar pour partager avec eux un peu de sa nourriture, puis de leur montrer le chemin de la bière de son frère, au Col de Pinodieta, non loin d'Espelette, où Ana dit vouloir rejoindre sa cousine. Par de hautes collines, en évitant au passage tout lieu habité, on arrive enfin à la ferme isolée qui marque le terme de cette folle équipées. Les cousins vont se retrouver.
Les protagonistes de cette histoire ne sont cependant pas au bout de leur peine, mais je laisse ici au lecteur le soin de découvrir la suite de cette histoire qui n transporte et chavire le coeur.
Je ne veux pas en dire davantage, de peur d'en dire trop, si ce n'est que l'auteur a donné une suite à cette histoire bouleversante en écrivant un livre intitulé : L'enquête.
Je referme ce livre avec une grande émotion.
François Sarindar
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