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EAN : 9782351500828
384 pages
Revue Europe (01/09/2016)
5/5   1 notes
Résumé :
"Paul Celan représente la réalisation de ce qui ne semblait pas possible : non seulement écrire de la poésie après Auschwitz, mais écrire "dans" ces coutres, parvenir à une autre poésie en fléchissant cet anéantissement tout en se maintenant en quelque sorte dans l'anéantissement", écrivait naguère Andrea Zanzotto. "La parole poétique est une parole prononcée conte la mort. C'est là son essentielle raison d'être ", rappelle José Angel Valente dans un texte publié da... >Voir plus
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Dans le Méridien, Celan invente un néologisme : « La parole a quelque chose de personnal », dit-il. En lieu et place comme on l’attendrait du « etwas ‘‘persönlich’’ » (« quelque chose de personnel »), il écrit « etwas Personhaftes », « quelque chose de personnal ». Dès lors, bien que ne faisant pas abstraction des données biographiques comme expérience et origine de la parole poétique, à l’instar de la dimension historiale, le poème pour Celan n’est jamais personnel. La parole se fait personne, elle est une personne chaque fois unique. Celan y revient dans une note du Méridien que je cite à dessein en allemand en l’accompagnant d’une traduction littérale : « Das Gedicht ist Lebenschrift » (Le poème est une écriture de vie »), « Die Gegenwart des Gedicht ist die Gegenwart einer Person » (« La présence du poème est la présence d’une personne »).
     
Le glissement sémantique du personnel au personnal n’est pas fortuit. Il vise à lier la destination du poème (et non le destin) à une personne, à son secret, à sa disparition, au sauvetage de sa mémoire par la langue. « Personnal » est une autre manière de dire « sépulture » ; sépulture sans sépulture, par la présence de mots-deuil. Plus loin dans le texte, Celan ajoute comme une cadence, une scansion finale à laquelle plus rien ne peut venir surseoir : « Secret de la personne. C’est pourquoi celui qui veut détruire le poème cherche à détruire la personne. »
     
Si le poème requiert ce que j’appellerais volontiers une pulsion témoignante, s’il exige un « devenir cœur », selon l’expression de Derrida commentant dans Schibboleth le poème intitulé « Wege » (« Chemins ») dans lequel Celan parle d’un « Herzgewordenes » (un « devenu-cœur », selon la traduction de Martine Broda), c’est précisément pour marquer, non pas le tournant mais la césure définitive entre le lyrisme romantique inscrivant le poème dans ce qui deviendra le geste herméneutique de Heidegger, une ontologie d’une coïncidence à soi de la parole poétique, consistant à rechercher le lieu où la dynamique du texte prend sa source depuis laquelle se déploient les multiples variation de lecture et d’interprétation, et le « Singbarer Rest », ce chant paradoxal qui a perdu à tout jamais sa lyrique et qui, en la perdant, est devenu l’incipit incantatoire du poème qui « commence par dire le reste » (Derrida). Le cœur va et vient. Il est toujours en partance, en itinérance, en exil. Seule impossible répétition : son devenir. Il y a donc césure entre ce geste herméneutique et la dimension intraduisible inaugurant la parole poétique en tant que la personne qui parle dans le poème n'est plus personne – ni Celan, ni l’autre. Le personnal qui parle est l’essentiellement autre de toute personne, de tout évènement, de toute chose, au sens subjectif du terme. Il est « Niemand ». Ce Niemand, « ce » personne et non pas « cette » personne, demeure à jamais secret. Ce personnal est le seul qui puisse prétendre dire « Niemand zeugt für den Zeugen » (« Personne ne témoigne pour le témoin »), selon la traduction de Jean-Pierre Lefebvre ou encore celle d’André du Bouchet déjà citée : « Nul ne témoigne pour le témoin ». Ainsi, ni commencement, ni origine, ni clôture ou accomplissement ne viennent surseoir au souffle du poème, à sa renverse dont parle Celan dans Atemwende.
     
par Daniel Cohen-Levinas : « Où est le ciel ? », extrait. pp. 116-118
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On peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas cette tension entre le staccato dicté par la violence de l’événement, des événements, et le legato inspiré par l’amour de la langue de la mère, par l’amour tout court, qui participe à la teneur tendue des poèmes qui donne au lecteur de Celan l’impression de cheminer sur une ligne de crête, aiguë, ambiguë. (…) Ne simplifiant jamais, les poèmes nous forcent à évoluer dans une zone de tension constante, qui est celle de la perception et de l’interprétation de la réalité, des expériences, du monde dans sa complexité. (…) Pour le comprendre, il faut entendre le rythme-pensée ou le penser-rythme de Celan. »
     
— Bertrand Badiou
L’ESTRANGEMENT DU POÈME (extraits),
Entretien réalisé par Daniel Cohen-Levinas, Paris, juin-décembre 2015. (p.147)
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