Il existe des gens très bien sur cette planète. Seulement, ceux qui dominent le monde, ne le sont pas. Forcément, seuls les haineux arrogants perfides dominent le monde. D'où ma question : à la Fin des Temps, lorsque les vivres manqueront, quel genre de personne restera-t-il?
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Josef Horkaï se réveille d'un long sommeil en cryogénie. Il ne se souvient de rien et ne peut plus bouger ses membres inférieurs. Il se retrouve acculé à une tâche qu'il ne comprend pas. On lui demande de récupérer un cylindre dans un lieu particulier. Et comme il ne peut pas marcher, on lui octroie deux « serviteurs », appelés des mules, qui doivent accomplir leur raison d'être : transporter Horkaï d'un point à l'autre, et le ramener avec l'énigmatique cylindre. Qualifier des êtres humains de mules, déjà cela me fait mal au coeur. D'ailleurs pendant tout le trajet, Horkaï tente de comprendre leur raisonnement, absent de toute réflexion existentialiste. L'air est toxique, les mules sont sous scaphandres, tandis qu'Horkaï est « spécial », l'air toxique ne l'atteint pas. Pourquoi ? Est-ce un surhomme ? Un ange ? Pendant cette quête, Horkaï va découvrir un monde dévasté, dépeuplé, désertique, toutes constructions du passé en ruine, sans plantes, ni animaux. Lorsqu'il parvient enfin à destination, la personne qui le reçoit lui ressemble trait pour trait…. Tous ses mystères attraperont le plus haut niveau de mon attention jusqu'à la dernière ligne. Tandis que nous nous posons des questions sur Horkaï, nous nous en posons également sur le fond du roman :
- Si la religion n'avait pas existé, que serions-nous aujourd'hui ? (et j'ai pensé à Zarathoustra qui descend de la montagne pour nous apprendre la mort de Dieu).
- Si c'était la fin des temps, et que nous avions le pouvoir de redonner vie, le ferions-nous ?
- Si les anges existent vraiment, nous protègent-ils des malheurs de la Terre ou de nous-mêmes ?
- Dans
La Bible, les justes seront ressuscités pour la Vie Eternelle. C'est quoi les justes ?
- Est-ce que j'ai envie de vivre éternellement ?
- Est-ce que la Vie Eternelle n'est pas une métaphore pour exprimer que l'être humain fera tout, quoi qu'il en coûte, pour assurer la survie de l'espèce?
- Si Dieu nous a fait à son image, est-il arrogant et perfide comme nous le sommes ?
- Et d'autres encore...
Toutes ses questions métaphysiques ont un sens pour moi. Et
Brian Evenson, ancien mormon a de la matière a communiqué sur ce pan de spiritualité. Car, alors qu'il est peut-être bon de se questionner sur la naissance de l'humanité et son devenir, il est moins bon d'adhérer à une communauté dirigée par des êtres humains qui disent suivre la parole divine. En réalité, ses communautés ne suivent que ce qui les arrangent car les textes sacrés sont interprétables à l'infini… Les textes sacrés ont ceci de vicieux, c'est qu'ils sacralisent d'une certaine manière la place de l'Homme dans le monde. Derrière ses belles paroles d'humilité, se cachent le plus grand complot d'arrogance et de malveillance à l'égard d'une grande partie des êtres vivants. Et peu importe que Dieu soit Amour et qu'il a un plan pour l'être humain, ou qu'il soit inexistant. Peu importe, du fait que la vraie question que se pose
Brian Evenson dans ce roman : le méritons-nous ? Avons-nous envie de réessayer ?
« Nous sommes une malédiction, un fléau. Nous avons commencé par donner des noms à toute chose puis nous avons inventé la haine. Puis nous avons commis l'erreur de domestiquer les animaux, une erreur presque aussi grave que la découverte du feu. A partir de là le lien est facilement fait avec l'esclavage, et une fois qu'on considère les hommes comme des animaux -comme des mules, par exemple, continua-t-il en lançant un regard à Horkaï -, nous devenons un bien jetable, la guerre devient monnaie courante. Ajoutez une religion majoritaire qui prêche la fin des temps et des livres sacrés utilisés pour justifier une atrocité après l'autre, et de là l'annihilation, il n'y a qu'un pas. Il est préférable de ne pas laisser la société se développer du tout, d'abandonner chaque personne à son propre sort, seule, tremblante, et effrayée au milieu des ténèbres. »
L'opposition des hommes restants, entre ceux qui se prennent pour des élus de Dieu et ceux qui se prennent pour Dieu en trafiquant la génétique, rendent les personnages (les plus enclins à survivre naturellement dans ce monde), d'abord Rykte, puis Horkaï, comme au contraire ceux qui pourraient sauver l'être humain des mauvaises décisions, dans un potentiel éternel retour. Je ne vais pas spoiler. Il faut le lire si vous voulez plonger dans cette réflexion.
Bien que se drapant dans une amertume nihiliste, ce roman sera incontestablement dans mon top 5 de 2023. Incroyable road movie sans jambes, ni voiture.
Pour plus de contenances, je vous invite à lire la superbe critique de monromannoir.