AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,87

sur 56 notes
5
7 avis
4
13 avis
3
4 avis
2
1 avis
1
0 avis
Quand on lit la quatrième de couverture, on se dit qu'on est en terra cognita, le scénario combinant plusieurs tropes classiques de la SF ; à savoir un monde post-apocalyptique , un protagoniste principal ayant perdu la mémoire, un réveil de ce dernier après une très longue cryogénisation.

Sauf que dès les premières pages, la sensation de familiarité s'envole immédiatement pour ne jamais réapparaître. Là où la plupart des auteurs de SF cherchent à présenter un monde clair et compréhensible, quitte à surexpliquer, Brian Evenson choisit lui d'introduire en permanence des éléments d'incertitude narrative. A peine sait-on qu'il y a eu le Kollaps, une catastrophe ( indéterminé ) qui a transformé la Terre en paysage lunaire, désertique et stérile, empoisonné au point que la faune et la flore ont été éradiquées et que la population humaine se réduit à quelques groupes dispersés accrochés à leur survie. Et puis c'est tout pour le cadre spatio-temporel.

Le lecteur est propulsé dans un doute oppressant qui ne le quittera jamais, complètement déboussolé car ce qu'il découvre de ce monde terrible, il le fait à travers les seuls yeux de Josef Horkai sauf qu'après un « stockage » cryogénisé de trente ans, il se réveille paraplégique et amnésique. Ses limitations physiques et mentales ne lui permettent plus de distinguer ce qui relève de souvenirs réels ou de son imagination voire d'un rêve ( ou cauchemar ). Il est page blanche, plongé dans un brouillard d'images figées qu'il ne parvient à analyser correctement, avec des bribes d'informations qui se cognent dans sa tête. Il ne sait même pas s'il peut faire confiance à ceux qui l'ont réveillé pour lui assigner une mystérieuse mission de retrouver un objet volé. Lui dit-on la vérité ? Il ne sait pas qui il est, même pas s'il est toujours humain.

Le récit est court, plein d'étrangeté et de tensions très immédiates que le lecteur ressent aussitôt, comme connecté à ce Josef, presque comme s'il était en lui. La prose de Brian Evenson a la netteté d'une lame de rasoir, que ce soit dans les descriptions du monde qui se révèle progressivement à notre regard, ou dans les dialogues quasi absurdes ( presque du Beckett parfois ) avec les deux hommes «  mules » qui le transportent sur leur dos.

L'auteur transmet parfaitement la menace et le désespoir qui transpercent la sauvagerie de ce nouveau monde. Se juxtaposent des perspectives discordantes qui ne conduisent jamais vers des conclusions préfabriqués, plutôt un ensemble d'idées interconnectées qui aident le lecteur à se positionner quasi philosophiquement en se questionnant sur le sens de la vie, l'identité et la responsabilité morale. Comme souvent chez Evenson, ancien prêtre mormon en rupture avec son milieu, le récit oscille entre nihilisme et messianisme. L'intrigue est saturé de références bibliques, mais toujours pour plonger encore plus dans le cauchemar. Jusqu'aux dernières pages terrifiantes de brutalité ( j'en frissonne encore ) qui propose un dénouement aussi percutant qu'inattendu.

Un étrange voyage qui ne ressemble à aucun livre post-apo lu auparavant, une lecture rude et marquante.
Commenter  J’apprécie          1134
Il existe des gens très bien sur cette planète. Seulement, ceux qui dominent le monde, ne le sont pas. Forcément, seuls les haineux arrogants perfides dominent le monde. D'où ma question : à la Fin des Temps, lorsque les vivres manqueront, quel genre de personne restera-t-il?
****
Josef Horkaï se réveille d'un long sommeil en cryogénie. Il ne se souvient de rien et ne peut plus bouger ses membres inférieurs. Il se retrouve acculé à une tâche qu'il ne comprend pas. On lui demande de récupérer un cylindre dans un lieu particulier. Et comme il ne peut pas marcher, on lui octroie deux « serviteurs », appelés des mules, qui doivent accomplir leur raison d'être : transporter Horkaï d'un point à l'autre, et le ramener avec l'énigmatique cylindre. Qualifier des êtres humains de mules, déjà cela me fait mal au coeur. D'ailleurs pendant tout le trajet, Horkaï tente de comprendre leur raisonnement, absent de toute réflexion existentialiste. L'air est toxique, les mules sont sous scaphandres, tandis qu'Horkaï est « spécial », l'air toxique ne l'atteint pas. Pourquoi ? Est-ce un surhomme ? Un ange ? Pendant cette quête, Horkaï va découvrir un monde dévasté, dépeuplé, désertique, toutes constructions du passé en ruine, sans plantes, ni animaux. Lorsqu'il parvient enfin à destination, la personne qui le reçoit lui ressemble trait pour trait…. Tous ses mystères attraperont le plus haut niveau de mon attention jusqu'à la dernière ligne. Tandis que nous nous posons des questions sur Horkaï, nous nous en posons également sur le fond du roman :
- Si la religion n'avait pas existé, que serions-nous aujourd'hui ? (et j'ai pensé à Zarathoustra qui descend de la montagne pour nous apprendre la mort de Dieu).
- Si c'était la fin des temps, et que nous avions le pouvoir de redonner vie, le ferions-nous ?
- Si les anges existent vraiment, nous protègent-ils des malheurs de la Terre ou de nous-mêmes ?
- Dans La Bible, les justes seront ressuscités pour la Vie Eternelle. C'est quoi les justes ?
- Est-ce que j'ai envie de vivre éternellement ?
- Est-ce que la Vie Eternelle n'est pas une métaphore pour exprimer que l'être humain fera tout, quoi qu'il en coûte, pour assurer la survie de l'espèce?
- Si Dieu nous a fait à son image, est-il arrogant et perfide comme nous le sommes ?
- Et d'autres encore...

Toutes ses questions métaphysiques ont un sens pour moi. Et Brian Evenson, ancien mormon a de la matière a communiqué sur ce pan de spiritualité. Car, alors qu'il est peut-être bon de se questionner sur la naissance de l'humanité et son devenir, il est moins bon d'adhérer à une communauté dirigée par des êtres humains qui disent suivre la parole divine. En réalité, ses communautés ne suivent que ce qui les arrangent car les textes sacrés sont interprétables à l'infini… Les textes sacrés ont ceci de vicieux, c'est qu'ils sacralisent d'une certaine manière la place de l'Homme dans le monde. Derrière ses belles paroles d'humilité, se cachent le plus grand complot d'arrogance et de malveillance à l'égard d'une grande partie des êtres vivants. Et peu importe que Dieu soit Amour et qu'il a un plan pour l'être humain, ou qu'il soit inexistant. Peu importe, du fait que la vraie question que se pose Brian Evenson dans ce roman : le méritons-nous ? Avons-nous envie de réessayer ?
« Nous sommes une malédiction, un fléau. Nous avons commencé par donner des noms à toute chose puis nous avons inventé la haine. Puis nous avons commis l'erreur de domestiquer les animaux, une erreur presque aussi grave que la découverte du feu. A partir de là le lien est facilement fait avec l'esclavage, et une fois qu'on considère les hommes comme des animaux -comme des mules, par exemple, continua-t-il en lançant un regard à Horkaï -, nous devenons un bien jetable, la guerre devient monnaie courante. Ajoutez une religion majoritaire qui prêche la fin des temps et des livres sacrés utilisés pour justifier une atrocité après l'autre, et de là l'annihilation, il n'y a qu'un pas. Il est préférable de ne pas laisser la société se développer du tout, d'abandonner chaque personne à son propre sort, seule, tremblante, et effrayée au milieu des ténèbres. »
L'opposition des hommes restants, entre ceux qui se prennent pour des élus de Dieu et ceux qui se prennent pour Dieu en trafiquant la génétique, rendent les personnages (les plus enclins à survivre naturellement dans ce monde), d'abord Rykte, puis Horkaï, comme au contraire ceux qui pourraient sauver l'être humain des mauvaises décisions, dans un potentiel éternel retour. Je ne vais pas spoiler. Il faut le lire si vous voulez plonger dans cette réflexion.

Bien que se drapant dans une amertume nihiliste, ce roman sera incontestablement dans mon top 5 de 2023. Incroyable road movie sans jambes, ni voiture.

Pour plus de contenances, je vous invite à lire la superbe critique de monromannoir.



Commenter  J’apprécie          7016
« L'infini du vide sera autour de toi, tous les morts de tous les temps ressuscités ne le combleront pas, tu y seras comme un petit gravier au milieu de la steppe ». »
Samuel Beckett, « Fin de partie ».

Cette épigraphe beckettienne donne le ton du roman de Brian Evenson, une dystopie hallucinée et paranoïaque, une longue plongée au coeur d'un monde dévasté par l'apocalypse, qui a quasiment détruit toute forme de vie, humaine, animale ou végétale.

« immobilité » débute par le réveil violent de son héros, Josef Horkaï. Ce dernier ne garde aucun souvenir d'avoir été stocké, ni des jours qui ont précédé son stockage, et encore moins de sa vie avant le « Kollaps », qui a mis fin au monde tel que nous le connaissons.

Doté d'une force étonnante, Josef se débat lors de l'opération, au point d'amocher les hommes de main chargés de le ramener à la vie. Ses souvenirs sont flous et épars. Josef n'est plus certain de rien, à l'instar des héros dickiens qui peinent à discerner le réel du rêve. Est-il vraiment revenu au monde ? Est-il en train de rêver ? Où se situe la frontière entre les limbes dont il a émergé et la réalité d'un monde dévasté ?

À peine remis sur pied, il saisit qu'il fait partie d'une communauté dirigée par un dénommé Rasmus, qui lui inspire une confiance toute relative. Ce dernier lui apprend que l'absence de sensation dans ses jambes a vocation à durer, dans la mesure où malgré sa force brute, il est paraplégique et atteint d'une maladie incurable.

Josef n'a pas le temps de se familiariser avec la réalité qui l'entoure, ni d'obtenir de réponses tangibles à ses questions. On lui confie en effet une mission de la plus haute importance, dont dépend l'avenir de la communauté de survivants qui vient de le « déstocker ». Il s'agit de récupérer un objet essentiel, une capsule congelée contenant des graines, située à l'extérieur de l'abri où se sont réfugiés les survivants.

Le héros découvre progressivement qu'en plus de son handicap et sa mystérieuse maladie, il est fondamentalement différent. Ni vraiment humain, ni vraiment non humain, il dispose de la capacité de survivre à l'air vicié qui pollue la planète et de se « mouvoir » à l'extérieur de l'abri sans mettre ses jours en danger.

Deux hommes qui semblent frères, Qanik et Qatik, ont été formés pour aider Horkaï à accomplir sa périlleuse mission. Surnommés les « mules », leur raison d'être est de porter ce dernier jusqu'au lieu où la précieuse capsule est cachée et de le ramener sain et sauf en possession du trésor tant convoité. Tout entier revêtus de combinaisons protectrices, ils quittent les lieux en portant sur leurs épaules le héros « immobile » de ce roman aux allures de cauchemar.

Le lecteur féru de S.F. retrouve dans le roman de Brian Evenson les tropes du roman post-apocalyptique. Une planète terre dévastée par une série sans fin de conflits. Des humains apeurés et regroupés en communautés dirigés par des chefs à l'intégrité douteuse. le surgissement d'êtres « intermédiaires », tels que le héros, qui ont développé une capacité de résistance étonnante aux conditions de vie épouvantables du « nouveau monde ».

Et pourtant. L'originalité et la force de percussion de ce roman très sombre tiennent au regard incertain posé par Josef Horkaï sur un univers aux contours mal définis. Notre héros fraîchement déstocké n'est sûr de rien et fait preuve d'une paranoïa évoquant l'un des maîtres du genre, Philip K. Dick. Horkaï accorde une confiance limitée aux dires de Rasmus, au peu d'informations que les « mules » veulent bien lui confier, ainsi qu'à ses propres souvenirs. Pire encore, il ne cesse de douter de ses propres intuitions et de la pertinence de son évaluation du « réel ».

Tout le brio de Brian Evenson réside dans cette économie d'informations communiquées au lecteur qui appréhende une réalité angoissante à travers le regard inquiet de son héros. Si les pièces du puzzle se mettent progressivement en place, une forme d'incertitude persiste. Derrière l'apparence d'une n-ième variation sur le thème du roman post apocalyptique, « immobilité » nous propose une plongée hypnotique au coeur de ténèbres qui nous sont progressivement dévoilées au travers du regard lacunaire et paranoïaque de Josef Horkaï.

Une beauté étrange émane de l'odyssée improbable d'un personnage paralysé, porté par deux improbables « mules », dans un paysage lunaire. le flou qui nimbe une intrigue traversée par l'éclat languide des fleurs du mal offre à « immobilité » un supplément d'âme qui lui permet de transcender le genre « post apocalyptique ».

Commenter  J’apprécie          5526
Un homme se réveille d'un long sommeil. On l'a sorti de son stockage pour une mission. Laquelle ? Récupérer un objet inconnu dans un lieu inconnu. Dans un monde inconnu depuis une catastrophe qui a laissé la planète, ou, en tout cas, ce coin de planète où se situe le roman, dans un sale état. Ravagé. Atmosphère mortelle. Qui est-il ? Que doit-il faire ? Pourquoi ? La liste des questions est immense. Les réponses vont-elles venir ?

Comme dans L'Aube d'Octavia E. Butler, le personnage principal vient d'une autre époque où la Terre a été dévastée par un cataclysme provoqué par l'humanité. Ici aussi, il est perdu dans ce nouveau monde qu'il découvre progressivement. Mais si chez Octavia E. Butler, la difficulté vient de la présence d'extraterrestres aux us et coutumes étranges pour une humaine, chez Brian Evenson, c'est l'amnésie quasi totale du héros qui crée le problème. Et l'intérêt principal de l'ouvrage. Car le lecteur est comme lui et, avec lui, il va découvrir le monde post-apocalyptique créé par l'auteur américain. Tout va venir progressivement. Et cette attente, ce questionnement continu sur le monde imaginé par Brian Evenson constituent le sel essentiel de ce roman. Comment fonctionne-t-il ? Quels sont ces différents groupes qui semblent s'être constitués ? Mini démocratie ? Tyrannie sans scrupule ? Secte dirigée par un gourou ? L'auteur se montre malin et subtil : les réponses à la situation sont nombreuses. Les choix multiples. Ils laissent du libre-arbitre au lecteur qui peut se faire sa propre idée, ou du moins essayer : quelle voix semble la meilleure pour résister à cette situation ? Sans parler de l'extérieur : pourquoi certains personnages craignent-ils tant de l'affronter et d'autres pas ? À quoi est due cette différence ? Que d'interrogations qui stimulent l'imagination, sans la brider, sans lasser. Une gageure brillamment réussie à mon avis par Brian Evenson. Je ne suis pas (je le répète assez au fil de mes billets) un grand adepte du post-apo. Mais là encore, comme dans d'autres cas récemment (Périphériques de William Gibson, Unity d'Elly Bangs, Resilient Thinking de Raphaël Grenier de Cassagnac, le trilogie Rempart de M.R. Carey, Les Chroniques de Mertvecgorod de Christophe Siébert, ou même L'évangile selon Myriam de Ketty Stewart : en fait, pour quelqu'un qui n'aime pas ce genre, j'en ai lu un paquet !), j'ai été happé par l'histoire. Et mes réticences sont tombées l'une après l'autre. Je ne suis pas encore un fan absolu, mais je ne fuis plus cette étiquette.

D'autant que ce roman est également le creuset d'une vaste source d'interrogation sur l'identité. le personnage principal se réveille amnésique. Il ignore absolument tout. Qui il est, ce qu'il fait là, qui sont les gens qui lui parlent. Et même les raisons de la catastrophe. Voire l'existence de la catastrophe. Qu'était-ce que ce Kollaps, dont même le nom est déformé ? Tout est mis en doute. de plus, sa seule source de renseignement est un homme qui ne lui dit pas tout. Et lui cache sciemment des informations. Ce qui fait que même les pistes qu'il a données peuvent être remises en question. Rien n'est stable. Philip K. Dick, au secours ! Dès qu'il est dans le noir, dès qu'il se réveille sans savoir où il est, Josef Horkaï se demande où il est : est-il encore stocké et est-il en train de rêver ? Est-il à l'extérieur dans une nuit absolue, sans lumière artificielle ? Est-il dans une grotte ou un bâtiment dont les parois ne laissent pas filtrer la moindre lumière ?

« Ça voulait dire qu'il ne pouvait pas se fier à ses sens, qu'il ne pouvait pas se fier à ce qu'il éprouvait et, par conséquent, ne pouvait pas se fier à ses propres pensées. L'esprit est un maître illusionniste. » (page 42) Josef Horkaï (mais est-ce vraiment sont nom ?) est-il un être libre de ses mouvements ou un simple pantin dirigé par d'autres ? Est-il même humain ? Lui résiste à l'atmosphère empoisonnée de l'extérieur alors que les autres, humains semble-t-il, ne survivent pas longtemps, malgré des combinaisons protectrices. L'humanité a-t-elle évolué ? Ou ces êtres sont-ils des créations artificielles ?

Le doute permanent doit être terriblement usant pour lui. Mais pas pour nous. C'est une autre facette de ce roman qui me fascine : il m'a passionné, j'ai tourné les pages avec envie, alors que le sujet est grave et pourrait être pesant. le traitement de Brian Evenson est simple dans ses phrases, dans ses interrogations, mais terriblement efficace car on veut connaître la suite, on veut comprendre ce qu'il s'est passé, on veut découvrir qui est vraiment le personnage principal.

Or, malgré cette simplicité apparente, les réflexions sont profondes et m'ont touché. Outre la réflexion sur l'identité, on trouve encore ceci : « Des noms, des catégories, des divisions. Dès que vous désignez une chose, vous apprenez à la haïr. » (page 217) Créer des catégories est une bonne façon de créer des divisions. Et en ces temps de guerre proche, de montée des tensions entre les différents bords de l'échiquier politique et social, cette citation a porté.

immobilité m'a surpris, mais m'a aussitôt emporté dans son rythme et son univers. J'ai pris fait et cause pour Josef, souffrant avec lui physiquement et intellectuellement, ressentant ses doutes et ses interrogations, me demandant sans cesse comment cela allait bien pouvoir se terminer. Ce road-movie post-apo sans voiture a su me séduire par sa simplicité apparente et par sa profondeur réelle. Il est déjà une de mes lectures marquantes de 2023.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
Commenter  J’apprécie          329
Ce monde est irrespirable, empoisonné. Plus aucune plante ou animal, à part des cafards.

Celui qu'on dit s'appeler Josef Horkaï revient à lui, dans la douleur. Amnésique ou presque. Il était stocké, cryogénisé et ceux qui l'entourent le réveillent avec peu de douceur, et beaucoup de questions. Ils sont claquemurés, pour survivre à l'atmosphère mortelle.

immobilité est un roman à classer dans le genre post-apocalyptique, pour le moins étrange. On ne sait rien du « quand » ni du « où », et on va rapidement se retrouver face à des interrogations sur le « qui ».

Oui, l'ambiance générale est vraiment atypique. Brian Evenson a l'art de nous faire perdre nos repères, à travers les yeux de son personnage et son rapport d'étonnement à ce « nouveau » monde qui se révèle à lui. Avec une imagination qui dérive souvent vers des idées pour le moins surprenantes. Dérangeantes, parfois déstabilisantes.

Son univers post-apo sort souvent des canons du genre par le caractère pour le moins insolite des réactions physiques et interpersonnelles des protagonistes.

Josef Horkaï se retrouve donc à devoir faire confiance aux hommes qui le raniment sans ménagement. Et il se retrouve coincé dans une certaine immobilité, lui qui n'a pas l'usage de ses jambes.

On va lui confier une mission énigmatique, dont il ne comprend ni le sens, ni la portée. Il va pourtant l'accepter, en se faisant porter. Par deux hommes qui vont sacrifier leurs vies pour l'emmener loin dans ce monde toxique du dehors.

Un monde qui va se dévoiler à lui, étranger, presque mort. Où il devra avancer, quitte à ramper. Pour découvrir peu à peu qu'il semble immunisé contre le poison ambiant, et qu'il possède même d'étonnantes facultés.

Il se pose des questions, en pose à son entourage, sans obtenir beaucoup de réponses. Comme le lecteur, poussé à imaginer pour comprendre.

Il est différent, mais en quoi ? Qui est-il ou même qu'est-il ? Lui dit-on la vérité, quand on veut bien lui répondre ?

Evenson développe de manière singulière la notion d'identité, vaste question qui semble imprégner en profondeur son oeuvre. Pour preuve la novella L'antre, publiée en parallèle chez l'éditeur Quidam, sur une thématique approchante.

Le lecteur prend parti pour ce personnage étonnant, partant avec lui à la découverte des caractéristiques et fonctionnement de l'environnement, et de sa mission mystérieuse. Où il doit accepter de se perdre aussi.

La narration est, elle-aussi, déviante, à l'image des nombreux dialogues, où il faut savoir puiser le sens caché, alors qu'ils semblent parfois tourner au non-sens. Presque des dialogues de sourds, mais dont on comprend des pans, en creusant. Effet volontaire, bien évidemment, pour accentuer encore davantage l'étrangeté de l'ambiance.

L'auteur semble souvent aller à l'essentiel, et pourtant, des sujets de fonds sont traités, en arrière-plan, subtilement. Au lecteur de chercher la voie, comprendre les voix.

immobilité est un roman post-apocalyptique mouvant, remuant et parfois émouvant. Brian Evenson est une voix singulière, sombre et étrange.
Lien : https://gruznamur.com/2023/0..
Commenter  J’apprécie          222
Cela devient presque une tradition de débuter l'année avec un ouvrage issu de la maison d'éditions Rivages et plus particulièrement de sa collection noire en évoquant des grands romanciers tels que Hugues Pagan en 2022 avec le Carré Des Indigents ou Hervé le Corre en 2021 avec le bouleversant Traverser La Nuit. Pour 2023, on s'éloignera de la littérature noire pour se pencher sur la nouvelle collection Imaginaire dirigée par Valentin Baillehache en se focalisant sur immobilité, un roman d'anticipation de Brian Evenson dont la parution dans sa langue d'origine date de 2012. Drôle de parcours pour cet écrivain, ancien prêtre mormon qui, après la publication de son premier recueil de nouvelles, doit choisir entre l'écriture ou la carrière ecclésiastique en se lançant pour notre plus grand plaisir dans la rédaction de récits étranges et dérangeants, à la lisière du fantastique, de l'horreur et de la science fiction, en collaborant entre autre avec des artistes tels que Rob Zombie ou James DeMonaco et dont certains ouvrages ont été traduits par Claro. Dans nos contrées brian evenson,immobilité,rivages imaginairefrancophones, Brian Evenson est principalement connu des amateurs du genre noire par le biais de la Confrérie Des Mutilés, un roman culte, qui semble désormais indisponible, nous plongeant dans l'étrange milieu d'une congrégation des mutilés volontaires. Hasard du calendrier ou démarche concertée qu'importe, il faut signaler que immobilité paraît en français en même temps que L'Antre, autre roman de Brian Evenson traduit et publié chez Quidam Editeur avec pour cadre commun entre les deux ouvrages, l'ambiance oppressantes d'un univers post-apocalyptique.

Un réveil brutal après une gestation de plusieurs dizaine d'années, il ignore qui il est et d'où il vient. Il évolue dans un environnement ravagé par une catastrophe qui a détruit le monde d'autrefois. Paraplégique, il lui faut accomplir une mission : rechercher un boitier au contenu mystérieux. le voici donc projeté dans un univers en ruine où l'air vicié annihile tous les organismes, en progressant sur le dos de deux hommes en combinaison qui semblent avoir été destinés à cette unique fonction. Il lui faut comprendre la raison de cette démarche étrange et plus particulièrement sa résistance à cette pollution mortelle alors que ses deux compagnons de voyage dépérissent peu à peu, en dépit de leurs protections, à mesure qu'ils progressent vers cette montagne abritant un bunker renfermant cet objet tant convoité qui semble être en mesure de faire basculer le destin de ce qu'il reste de l'humanité. Mais peut-il y avoir un avenir dans ce monde dévasté ? Il ne s'agit pas de la seule interrogation de Josef Horkaï. Obtiendra-t-il les réponses ?

Qui sommes-nous ? Vers quel destin aspirons-nous ? Les questions existentialistes traversent ainsi ce récit d'anticipation apocalyptique où Brian Evenson posent ces interrogations par le prisme des aspects triviaux de l'amnésie de Josef Horkaï, personnage central du récit, et de sa quête mystérieuse le conduisant à traverser cette région de Salt Lake City dévastée par un cataclysme, tout comme le reste de la terre, et dont on ignore l'origine. C'est l'occasion pour Brian Evenson, prêtre mormon défroqué, de fustiger son ancienne congrégation en mettant par exemple en perspective les ruines du temple de Salt Lake City puis en déclinant le côté mystique de ces communautés survivalistes, que l'on désigne sous l'appellation de ruches, s'entredéchirant pour évoluer dans le déclin de cet univers dévasté. Autant dire que Brian Evenson ne se fait guère d'illusion quant au devenir de l'humanité qui s'ingénie à s'entretuer autour des reliquats d'un monde déclinant en projetant Josef Horkaï sur une route qui rappelle celle de Cormac McCarthy ou celles que parcourt Mad Max. Mais avec Brian Evenson tout est plus dérangeant et plus étrange, à l'instar de ce titre immobilité qui fait référence au handicap de Josef Horkaï ce qui le contraint à évoluer sur le dos de deux compères qui ont été programmés, et le mot n'est pas galvaudé, pour cette unique fonction. Ainsi pour l'auteur, le monde n'a donc pas fondamentalement changé, malgré le cataclysme et l'on découvre qu'iI existe plusieurs castes d'humains plus ou moins taillés pour résister à cette pollution suffocante et meurtrière qui enveloppe l'atmosphère en détruisant toutes formes de vie à l'exception de Josef Horkaï semblant bien plus solide qu'il n'y paraît. Allégorie ou conte cruel, on appréciera la sobriété d'une écriture au service de scènes effroyables et douloureuses qui font d'immobilité un texte puissant et perturbant ne nous laissant guère d'espoir quant à l'avenir de l'homme.


Brian Evenson : immobilité (Immobility). Rivages/Imaginaire 2023. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) parJonathan Baillehache.

A lire en écoutant : Blackstar de David Bowie. Album : Blackstar. 2016 ISO Records.
Lien : http://www.monromannoiretbie..
Commenter  J’apprécie          150
Je ne suis pas une adepte des récits post-apocalyptiques, je les trouve souvent trop formatés et les fins ont tendance à faire pschitt à mes yeux. J'avais donc quelques réticences. Mais la plume addictive de Brian Evenson m'a de suite embarquée et j'ai adoré cette fin tellement bien troussé ! Une lecture grinçante et pleine de peps, parfaite pour démarrer l'année !


Avec ce titre, la nouvelle collection de SF de Rivages lance un auteur américain très en vue dans son pays : Brian Evenson, prolifique et reconnu pour ses mondes apocalyptiques. Ils se donnent aussi la main avec les éditions Quidam pour lancer en même temps sa nouvelle : L'Antre, qu'il me tarde de découvrir désormais car il serait un pendant parfait à immobilité d'après les éditeurs et comme j'ai beaucoup aimé ce dernier...

immobilité, c'est un peu un condensé d'ambiances que j'apprécie. J'ai eu l'impression dès les premières lignes de me retrouver dans des aventures que j'avais déjà lu et appréciée où un héros un peu perdu se retrouvait propulsé dans un univers à la fois connu et méconnu accompagné de personnes étranges et entourés de sociétés qui le questionnait. Bref beaucoup de mystères au milieu desquels avancer prudemment pour comprendre ce qui se trame, et moi, j'adore me laisser porter par ce genre de cheminement.

Ainsi, j'ai apprécié me coller aux basques de Josef Horkaï, un homme singulier qui se réveille dans un univers limite claustrophobique, et à qui le dirigeant d'une étrange société, prénommée Ruche, confie une mission qui l'envoie sur les routes d'une Terre ravagée et toxique, alors qu'il est paraplégique mais comme il est le seul apparemment immunisé... La plume de Brian Evenson m'a de suite saisie par le col pour mieux m'immerger dans cette aventure. Alors que je ne suis pas une adepte des roadtrip, celui-ci, mené tambours battants avec ce drôle de héros et ses accompagnateurs encore plus étranges, surnommés Mules, m'a de suite plu. Ça me rappelait un mélange de la Monture de Carol Emshwiller et de A journey beyong heaven, manga, de Masakazu Ishiguro.

Avec ce trio inattendu, jamais ne pointe l'ennui. Il s'agit d'abord pour Horkaï d'essayer de comprendre l'environnement dans lequel il s'est réveillé et de faire le lien avec ses souvenirs éparpillés. Puis il apprend à faire connaissance avec ses Mules et ainsi à comprendre les étranges sociétés qui ont résulté du Kollaps, cette catastrophe qui a changé la Terre du tout au tout : plus de plante, plus d'animaux... Se mélangent donc cette quête de sens face à ce nouveau monde qui l'entoure, en plus de la quête - mission confiée par le chef de la Ruche. Une quête qui va l'amener à faire la rencontre d'autres individus immunisés, comme lui, face à cet environnement désormais hostile, faisant naître de nouvelles questions, de nouveaux mystères mais aussi de nouvelles réponses.

Tout cela se déroule très vite et pourtant comme chez Zelazny, dont je relis chaque mois la prose avec les Princes d'Ambre, il y a une belle concision malgré la rapidité de la narration. L'auteur maîtrise à merveille le format court, délivrant une histoire riche, complète, avec des interrogations scientifiques, d'autres plus philosophiques, des personnages marquants et une évolution de notre société crédible. C'est hyper bien fait. Il se paie en plus le luxe de bien nous emberlificoter dans son final avec une pirouette grinçante excellente qui nous mets bien à mal et donne une image de pied de nez à ce qu'on vient de vivre. J'ai adoré !

Fable politico-scientifico-philosophique sur le devenir de nos sociétés après une catastrophe terriblement destructrice de notre mode vie. La proposition de relève de la société de l'auteur fait froid dans le dos et sa manière palpitante de nous la faire découvrir au cours d'un roadtrip initiatique avec quête est une belle trouvaille. J'ai adoré la facilité d'écriture ressentie dans la prose de l'auteur qui m'a totalement embarquée et son culot dans les propos grinçants qu'il tient. Une très jolie découverte d'un auteur américain que j'ai envie de suivre désormais sur le même type de textes.
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
Commenter  J’apprécie          140
Suivre Josef Horkaï c'est se retrouver plongé dans l'inconnue, se réveiller amnésique dans un endroit froid et austère et surtout dans un monde dévasté.
Nous sommes comme Josef : nous ne savons rien, nous sommes désorientés et nous découvrons quelques pistes qui nous mènent à d'autres questions.

Roman court, Brian Evenson a un vrai talent pour créer une ambiance glaçante avec une économie de descriptions.
C'est nébuleux et pourtant très intriguant.

Des touches de violence nous percutent et l'on veut toujours comprendre le passé, le présent et même quel futur possible dans ces conditions ?

Immersif, sombre et (trop) énigmatique avec des questions existentielles posées (mais déjà plus profondément développées dans la nouvelle de l'auteur : L'Antre) et qui donne des pistes de réflexions très intéressantes, immobilité est un texte post-apo original et on sent que l'auteur tient à garder une grande part d'ombre sur les enjeux et motivations de ses personnages.
J'aurais souhaité plus d'explications même si je comprends le but recherché.
Lien : https://www.instagram.com/p/..
Commenter  J’apprécie          90
Dans un futur indéfini, suite au Kollaps (dont nous ne saurons rien !) la Terre est un champ de ruines fortement irradié où la vie a quasiment disparu. Seuls quelques rescapés survivent, ici ou là, enterrés dans des abris plus moins sûrs. Les seules sorties se font au péril de leur vie quand nécessité fait foi, dans des combinaisons intégrales. Voilà en quelques mots le monde dans lequel Brian Evenson nous plonge, un univers très flou, très vague qui sert de décor à son histoire, ou plutôt à celle de Josef Horkaï.

Le roman commence par la sortie de stase de celui qui se souviendra s'appeler Josef Horkaï. C'est à peu près son seul souvenir : il ne sait plus qui il est, où il est, ni à quelle date il se trouve, il a même oublié qu'il était paraplégique ! Seules quelques vagues images lui reviennent en mémoire sans qu'il arrive à les connecter à une réalité. Ceux qui l'ont réveillé ont une mission pour lui, mission dont il ne comprend pas la finalité, ni comment il pourra l'exécuter sachant qu'elle implique de parcourir plusieurs kilomètres en surface. Mais les membres de sa communauté ont tout prévu...

Dès les premières lignes l'étrangeté du récit ferre le lecteur, impossible de ne pas se projeter dans la tête de Josef Horkaï. de sa résurrection à son long périple semé d'embuches, nous découvrons en même temps que lui ce monde post-apocalyptique avec ses conventions et ses règles. Mais assez vite, ce n'est plus l'univers qui nous tient en haleine mais la question d'identité : qui suis-je vraiment ? Pardon, je voulais dire qui est vraiment Josef Horkaï ou plutôt qu'est-il vraiment ?

Fascinant et déroutant comme l'est la novella L'Antre, immobilité est un roman brillant par sa noirceur et son étrangeté, un récit sans espoir qui amène le lecteur à s'interroger sur l'Homme et son humanité. En se lançant dans ce livre, ce ne sont donc pas des réponses que l'on viendra chercher, mais plutôt un questionnement sur sa propre existence. Questionnement qui restera probablement vain.


Lien : https://les-lectures-du-maki..
Commenter  J’apprécie          80
Joseph Horkaï a une mission donnée par Rasmus. Paraplégique, on lui adjoint deux "mules" Qanik et Qatik, deux frères qui vont le porter. Ils doivent se rendre à un point B pour récupérer un contenant (entre nous, j'ai immédiatement compris ce qu'il y avait dans le contenant, vous aussi très certainement).

Je n'ai certainement pas compris ce roman vu les bonnes notes des babéliotes. Je l'ai trouvé interminable et j'ai mis un temps fou à le terminer. Il n'y a quasiment pas d'action, c'est un long périple dans un paysage de désolation, de fin du monde. Il m'a fait penser à la route de McCarthy en moins bien. Quelques sectaires hallucinés, un solitaire sympathique et "des humains" mi-hommes, mi- machines.
Heureusement la fin apporte quelques réponses et un peu de mouvement à toute cette immobilité.

Suite à ma petite note, j'ai lu vos critiques. Chapeau à ceux qui savent lire au delà des mots et aux érudits de la Post-Apocalyptique.
Commenter  J’apprécie          70




Lecteurs (153) Voir plus



Quiz Voir plus

Les plus grands classiques de la science-fiction

Qui a écrit 1984

George Orwell
Aldous Huxley
H.G. Wells
Pierre Boulle

10 questions
4907 lecteurs ont répondu
Thèmes : science-fictionCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..