Pour Belinda

Le flic qui m'avait regardé de travers à mon arrivée était toujours là. Au moment où je posais la main sur la poignée de la portière, il m'a rejoint.
- Pas très prudent ce que vous avez fait là, Monsieur.
- Quoi donc ?
- D'entrer seul chez les négros !
- Je ne les crains pas.
- Peut-être, mais un homme qui se respecte ne fréquente pas ces gens-là !
Je me retournai et l'attrapai par sa tunique.
- Ecoutez-moi, espèce de crétin... Un de ces sales nègres était mon copain du F.B.I. On l'a tué cette nuit... Alors, si vous avez envie que je vous casse la gueule, vous n'avez qu'à continuer sur ce ton... Vous désirez savoir ce que je suis venu faire chez les négros, comme vous dites ? Annoncer à une gosse de vingt-deux ans qu'elle n'avait plus de mari, mort au service des Blancs.

Pour les
sommes importantes que les parents dépensent pour l’éducation de leur
progéniture… ils sont en droit d’exiger le maximum…

Enquêter chez les gosses
est le travail le plus difficile, le plus déprimant aussi. Ils ne comprennent
pas que nous nous portons à leur secours.

Je n’avais d’yeux que pour ma
bien-aimée et je ne me souciais pas des promeneurs de Franklin Square qui, au
passage, considéraient notre couple avec un mépris dissimulé. Etrange monde que
le nôtre où l’on n’a pas le droit de goûter un bonheur vrai s’il n’a été
d’abord jugé recevable par la société. Mais tout m’était égal, puisque Belinda
était là.

Au grand désespoir de ma mère, je
n’ai jamais été bon élève. Par contre, sur le stade, je me taillais toujours la
part du lion. C’était surtout les sports violents qui m’attiraient : la
boxe, la lutte, le catch. A seize ans, je pouvais flanquer de solides raclées à
des garçons qui comptaient trois ou quatre années de plus que moi. Ma mère s’en
lamentait, mais je suis persuadé que mon père, sans vouloir l’avouer, en était
très fier.

Vous
êtes assurément un homme très intelligent, vous êtes, sans aucun cloute, un
fonctionnaire de tout premier ordre et, cependant, arrivé à votre âge, à votre
poste, vous ignorez qu’on peut aimer une femme sans pour cela se conduire comme
un voyou. Oui, j’aime Belinda Caistor et je l’ai aimée du premier jour où je
l’ai vue.

? Il ne devait
pas tellement priser les Noirs, lui non plus. Il relevait d’un milieu où les
mélanges raciaux devaient apparaître comme des crimes contre la société des
Blancs. Orgueilleux – dans le bon sens du terme –, sûr de lui, il ne devait
jamais abandonner une tâche qu’il ne l’ait menée jusqu’au bout. Son appui me
serait un garant de succès. L’obtiendrais-je ? Et de quelle façon le lui
demander ?

Assise sagement sur un banc, elle
m’attendait. Si frêle et pourtant si jolie que j’excusais presque l’insolente
curiosité des jeunes gens qui se retournaient pour la regarder ou sifflaient
d’admiration. Comment pourrait-on avoir honte d’aimer une fille de la classe de
Belinda ? Cependant, en prenant place à ses côtés, je surpris le coup
d’œil réprobateur d’un vieillard qui devait essayer d’échapper à la douleur
lancinante de ses rhumatismes en se promenant au soleil. Imbécile…

Jamais je n’ai envisagé de faire
un autre métier que celui de policier. Seulement, mon papa de shérif espérait
pour moi autre chose que de me voir lui succéder peut-être dans son poste. De
gré ou de force, il m’a fallu aller jusqu’au bout de mes études, passer des
examens, des concours – qui ne demandaient pas une intelligence hors du commun,
mais simplement un peu de savoir-faire et je dois reconnaître que mon père m’a
beaucoup aidé en la matière – qui m’ont permis d’entrer au F.B.I. Je crois que
le jour où ma nomination est arrivée à la maison, papa a connu la plus belle
joie de sa vie.

Aussi surprenant que cela puisse vous paraître, Dan, il y en a parmi
nous que la peau noire ne dégoûte pas… De plus, les négresses, ça les flatte de
coucher avec des Blancs.