Récit d'une passion montagnarde personnelle, subtil montage métaphorique d'un espéré changement profond du capitalisme contemporain, conduit d'une manière aussi déterminée que rêveuse, un ouvrage alpin surprenant et précieux.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/03/01/note-de-lecture-
ouvrir-une-voie-emmanuel-faber/
Malgré le scepticisme initial, sans ombre de fausse pudeur, affiché par l'auteur lui-même, dont ces premières pages, ci-dessus, montrent comment il fut surmonté par la grâce efficace de l'un des plus grands journalistes de
montagne français,
Charlie Buffet, et par la magie du refuge chamoniard des Grands Mulets, «
Ouvrir une voie » a été écrit, et publié chez Guérin-Paulsen en janvier 2022, dans cette fameuse collection rouge, aux côtés par exemple des mythiques « Hautes terres » (
Walter Bonatti, 2006), «
À la verticale de soi » (
Stéphanie Bodet, 2016), «
La montagne nue » (
Reinhold Messner, 2003), ou encore «
Premier de cordée » (
Roger Frison-Roche, 1941 – et on verra tout à l'heure à quel point la métaphore choisie par
Emmanuel Faber est plus heureuse, une fois transposée, que celle répétée à l'envi et avec son surplomb coutumier par un autre Emmanuel, président de la République).
«
Ouvrir une voie » nous parle d'abord et avant tout de
montagne, de nature et d'escalade. Il y a ici tout ce qu'il faut pour rêver en situation, cliquetis de la dégaine, points de repos à deviner, toits à contourner, fissures en S à négocier, dièdres retors, choix de l'emplacement des spits,… Mais comme chez Guillevic (et la poésie est présente dans bien des interstices au fil de ces 150 pages, qu'elle soit celle de
Rimbaud, ou celle, moins directe, de
Baptiste Morizot), la paroi se transforme insensiblement, et avec une vraie forme d'élégance, en quelque chose de moins directement physique et sensible, et de nettement plus métaphorique, même si les contours ne s'en précisent que peu à peu, lorsque les instants biographiques d'une carrière professionnelle ayant conduit l'auteur à la tête ô combien emblématique de la multinationale alimentaire Danone s'immiscent dans le récit.
Pénétré d'une ascèse technique et humaine qui fera sans doute songer, à la fois logiquement et paradoxalement, au « Grand jeu » de
Céline Minard, ce récit devient ainsi aussi celui de la passionnante radicalisation écologique d'un véritable croyant du capitalisme – y voyant, comme son ami
Muhammad Yunus, celui du «
Vers un nouveau capitalisme » plus encore que du «
Vers un monde sans pauvreté » , un formidable moteur de réalisation de tâches nécessaires au collectif, bien plutôt que le réceptacle des avidités qu'il constitue le plus souvent, hier comme aujourd'hui -, confronté à l'inertie et à la lenteur – et souvent au brutal cynisme – de trop de puissants face aux urgences, écologique et climatique principalement, mais aussi de justice sociale – ce dont l'éviction de l'auteur de la présidence de Danone début 2021 apparaît par ailleurs, sans forcer le trait outre mesure, comme éminemment symbolique.
Nourri par le souvenir omniprésent d'un frère cadet trop tôt emporté par la tourmente des troubles psychiatriques, ce dont l'aveu public constituait en 2016 le carburant d'un discours puissant et émouvant, devenu viral bien au-delà des cercles business habituels, «
Ouvrir une voie » justifie pleinement son titre, le fait de se retrouver en tête de cordée n'étant ici que la conséquence de la volonté d'aller là où nul n'est encore allé, pour que d'autres puissent y aller à leur tour – et non pour engranger les dividendes, sonnants et trébuchants ou d'abord plus impalpables, de telle ou telle entreprise. La
montagne et la paroi deviennent alors, plus que jamais source et ressource, la transcription fidèle et authentiquement vécue d'un élan qui, pour n'être pas tout à fait utopique, se tisse bien de la noblesse frugale dont sont faits les « Principes Espérance ».
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