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EAN : 978B0166YNYKQ
293 pages
Fayard (réédition numérique FeniXX) (11/09/2015)
4.5/5   1 notes
Résumé :
Il y a un siècle, Nietzsche et Dostoïevski ont répandu cette nouvelle : Dieu est mort. Il est né de ce vide des demi-dieux de substitution, lesquels sont en train de mourir à leur tour : c'est la nouvelle d'aujourd'hui... Les hommes vont d'orthodoxie en orthodoxie. Quelle sera la prochaine ? Ou bien saurons-nous, un jour, nous passer d'orthodoxie ?... Après la découverte de l'Évolution, les hommes ont cherché à s'inscrire dans une élite qui ferait tourner à son prof... >Voir plus
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Les écrivains qui prétendent expliquer l’influence de Marx en se référant exclusivement aux gros volumes qu’il a publiés nous dupent. Mao Tsé Toung lui-même n’avait lu qu’un texte très court : Le Manifeste communiste. De toute l’œuvre du maître, l’immense majorité des marxistes n’a rencontré que quelques formules sommaires ou inexactement citées. « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ». « L’histoire est l’histoire de la lutte des classes ». « L’aliénation est dans l’acte de la production ». « Ce qui importe n’est pas de comprendre le monde, mais de le transformer ». « L’humanité se pose seulement les questions qu’elle est en mesure de résoudre. » A travers ces formules s’expriment des sentiments — une foi dans la mission du prolétariat, un goût de la contestation radicale, une haine des systèmes politiques établis — et ces sentiments puisent leur force dans le tempérament de l’homme Marx. Plus tard, les aspects aliénants des régimes communistes répondront aux aspects aliénants de sa pensée. Son messianisme préparait un impérialisme. La « science prolétarienne » a été à la fois une suite et une sanction de son orgueil. Le centralisme et la prétention à l’autorité internationale qui caractérisent la tyrannie soviétique prolongent l’attitude de l’homme qui préféra dissoudre l’Internationale socialiste plutôt que de la laisser se diviser en sections.

Au départ, le jeune Marx était, comme il était naturel à son âge et à son époque, un romantique. Il écrit à son père qu’il veut « remonter à la lumière du jour la perle des perles ». Quelle perle ? La grande intuition par laquelle il va retourner le système de Hegel en substituant à l’idéalisme du philosophe le concret et la praxis. Mais de ce prétendu concret, il va faire, à travers son système, un abstrait. Ce tour de passe-passe d’un grand prestidigitateur a longtemps émerveillé et dupé les spectateurs — jusqu’à les rendre indulgents aux conséquences de l’imposture.

Cependant, depuis une génération, des marxistes, épouvantés par ces conséquences, ont recouru à Marx contre lui-même, en utilisant ses manuscrits de jeunesse. Il y a bien eu vers 1844 un Marx « humaniste », mais ce n’est pas ce philosophe « mort jeune » (comme disait Arnaud Dandieu) qui a influencé le monde. S’il n’y avait eu que lui, le nom de Karl Marx ne serait même plus connu. D’ailleurs, on n’a pas le droit de déposséder un homme de son évolution. Or si l’on trouve bien encore chez le Marx de la maturité des phrases qui rappellent sa première période, elles sont surtout de couverture et d’alibi. Ce qui se dégage de l’ensemble de ses écrits, c’est un déterminisme social rigoureux, accompagné d’une incitation au radicalisme et à la violence. « Dans la production sociale de leur vie, les hommes contractent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté. » Cette phrase caractéristique figure dans Le Matérialisme dialectique. On pourrait en citer beaucoup d’autres, analogues, dispersées à travers ses écrits. Certes, Marx propose de hâter le fonctionnement de ce déterminisme par l’intervention de la volonté (comme la pensée chrétienne cumule la liberté et la grâce) mais dans son système fermé, le déterminisme primordial transforme la volonté elle-même en esclave. Il ne voit à travers l’Histoire que des agents de forces historiques impérieuses. Le capitalisme naissant, ou la Grande-Bretagne colonisant l’Inde, ont été à ses yeux des facteurs de progrès. Les abus d’hier — ceux même dont il s’indignait — étant ainsi, en quelque sorte, innocentés, ceux de demain — ceux des régimes communistes — le seront aussi.
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Cet homme supérieur animait mais tuait ceux qui l’entouraient. En 1851, Jenny vient d’accoucher de son cinquième enfant. Marx est déçu, car cet enfant est une fille, et Jenny est brisée. Marx écrit : « Si cela continue, ma femme va sombrer. » Et il ajoute : « Au fond, elle a raison, il faut que l’industrie soit plus productive que le mariage. » Il veut dire qu’il faut de l’argent pour nourrir une famille, mais c’est en termes de théorie économique qu’il s’exprime naturellement. Dans la même lettre, il reconnaît sa dureté. On a fait remonter l’origine de cette dureté à son enfance. Baptisé à six ans par décision de son père (qui s’était lui-même converti au protestantisme pour continuer à exercer son métier) il en avait gardé une honte qui contribue à expliquer ses réquisitoires contre la religion. Il avait même conçu, dit Misrahi, « une haine de soi ». On trouve effectivement dans un de ses poèmes de jeunesse cette ligne : « Je veux me venger fièrement de moi-même ».

L’autre objet de la sensibilité de Marx, c’est le prolétariat. Il passe brusquement du plus proche (sa femme) au plus lointain (le genre humain, réduit à une classe) dont il ne fera pas plus le bonheur qu’il n’a fait celui de Jenny. Entre l’une et l’autre, il y a des zones intermédiaires où il ne gaspille pas ses sentiments. Même en faisant la part des préjugés du temps, on reste gêné par l’épisode de ce fils naturel, au type juif, qu’il n’aime pas, qu’il ne reverra pas, et qui ignorera toujours sa filiation. (Il fera seulement des visites à sa mère, Lenchen, dans la cuisine, en l’absence du grand homme.)

L’amitié de Marx avec Engels est belle — quoiqu’il en soit surtout le profiteur — , mais elle aussi donne une occasion de mesurer les limites de sa sensibilité. Quand Engels perd la compagne de sa vie, il lui écrit une lettre de condoléances où ce malheur est placé sur le même plan que ses petits ennuis personnels. Engels, suffoqué, rompt avec Marx, qui s’excusera dans une seconde lettre aussi surprenante que la première. « Les femmes, écrit-il, sont des créatures comiques. » Et il en donne cette preuve que le matin, sa femme pleurait le deuil d’Engels et « le soir ne s’intéressait déjà plus qu’à ses propres misères ». C’est une façon de lui attribuer sa propre dureté, dont il témoigne encore d’une autre façon. en regrettant que ce ne soit pas sa mère à lui (Marx) qui soit morte, plutôt que la compagne d’Engels. Etrange façon de rattraper des condoléances manquées ! Le généreux Engels pardonnera et une fois de plus prêtera. Ses propres ressources sont pourtant épuisées. Eh bien, il prêtera l’argent de sa firme.
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Marx avait proposé à Darwin de lui dédier la traduction anglaise de son grand ouvrage, Le Capital. Marx espérait utiliser L’Origine des Espèces à la fois contre le finalisme et contre le matérialisme « non historique ». Pour lui, les lois établies de l’économie politique ne valaient pas plus que les lois établies de la biologie. Il prétendait expliquer le progrès de la Société comme Darwin avait expliqué celui de la Nature. Sociologue, il transposait en termes de classes ce que le naturaliste avait dit en termes d’espèces. Il l’annexait arbitrairement, en proclamant une équation : mutation = révolution. Darwin et lui étaient deux génies qui venaient abolir l’ancien ordre fixiste et proclamer l’ordre nouveau, un ordre dynamique dont ils avaient la clef. Marx employait même son propre langage pour caractériser l’entreprise de son prédécesseur : « Darwin a attiré l’attention sur l’histoire de la technologie naturelle... »

Mais cet amour (intéressé) de Marx pour Darwin n’était pas réciproque. L’auteur de L’Origine des Espèces refusa la dédicace que lui offrait l’auteur du Capital et commenta l’épisode dans une lettre. « Quelle curieuse idée semble prévaloir en Allemagne sur un lien entre le socialisme et l’évolution à travers la sélection naturelle ! » Un épisode ultérieur allait illustrer ce malentendu. Trotski découvrit Darwin en 1899, pendant un emprisonnement à Odessa. La bibliothèque de la prison ne contenait pourtant que des ouvrages religieux. C’est à travers leurs prétendues réfutations qu’il fut séduit par celui qui en était l’objet. Dès qu’il put recevoir des livres de l’extérieur, il se jeta sur L’Origine des Espèces. Il a raconté, plus tard, qu’il avait à jamais condamné dans son esprit la notion d’Etre suprême en apprenant par Darwin comment s’était formé le plumage du paon. Le problème religieux était alors au premier plan chez les révolutionnaires. Aussi l’illumination darwinienne de Trotski fut-elle suivie d’une profonde déception : il ne pouvait admettre que Darwin se dît agnostique plutôt qu’athée.

Il y avait d’ailleurs eu, dès l’origine, une critique marxiste de Darwin. On lui reprochait de n’avoir pas précisé que l’idée d’une limite aux moyens de subsistances, valable pour les animaux et les plantes, n’était plus justifiée pour l’homme, puisque celui-ci est maître de techniques productives. Engels allait jusqu’à dire que Darwin avait eu tort de ne pas mettre en relief la coopération des végétaux et des animaux, et qu’à cet égard il était en recul sur ses prédécesseurs.
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Sa passion [à Karl Marx] lui a fait mal apprécier les événements de son temps. En 1848, il croit au succès des mouvements révolutionnaires, imaginant à tort qu’on verra se renouveler le processus qui, sous la grande Révolution, a mené de la Constituante à la Montagne. En 1849, il attend encore une « éruption colossale ». Il ne se dégrise qu’en 1850, quand prend fin la crise économique qui avait, en 1847, allumé ses espoirs. Alors seulement, il s’assagit, reconnaît que le combat de rue est perdu d’avance si l’on n’a pas l’armée avec soi. Plus tard, il méconnaît la situation en Italie, souhaite une guerre franco-allemande, y voit le prélude d’une guerre contre la Russie qu’il juge nécessaire. Lassalle apprécie mieux que lui la situation générale de l’époque. Quand Saint-Simon dit que les ouvriers parvenant au pouvoir n’en useront pas mieux que les oppresseurs précédents, quand Fourier et Proudhon prononcent qu’une autorité centrale trop puissante dans un cadre trop large dégénère nécessairement en tyrannie, quand Bakounine redoute que la dictature du prolétariat ne se transforme en dictature sur le prolétariat, Marx les réfute. Ce sont eux, pourtant, qui ont raison.

Marx pensait que l’antagonisme des classes disparaissant, l’hostilité des nations cesserait. Il n’avait pas prévu que des contradictions se marqueraient aussi à l’intérieur du monde socialiste entre développés et sous-développés, et qu’elles recouperaient souvent les anciennes divisions nationales. Il n’imaginait pas que la violence s’installerait à l’intérieur du monde communiste, sous forme d’occupations militaires ou de répressions féroces. Il sous-estimait la force des nationalismes. Pourtant, sa propre famille avait été déchirée par des patriotismes divergents pendant la guerre de 1870. Tandis que sur le continent, ses filles Lafargue et Longuet partageaient le patriotisme de leurs maris, sa femme, de Londres, écrivait, en parlant des Français : « Comme ils méritent les obus prussiens ! » Et les Marx allaient se promener le dimanche au bord de la mer en chantant « 0, Strassburg ! »
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Corrélativement, l’ « auto-analyse » s’accélère. Freud découvre qu’à l’âge de « deux ans, deux ans et demi », il a éprouvé un attachement érotique pour sa mère. Soucieux de vérifier ce point, il interroge celle-ci, mais n’en tire qu’une obscure histoire de nourrice (aussitôt incorporée à sa théorie). Déjà, son imagination galope. Il interprète à la lumière de sa conception naissante les grandes œuvres de la littérature. Il donne même à cette conception de nom de « complexe d’Œdipe », sans remarquer qu’elle s’applique particulièrement mal au cas de l’Œdipe légendaire et tragique. Celui-ci n’a pu souffrir d’aucun complexe familial, ni dans son enfance puisqu’il a été abandonné à sa naissance, ni lors de son retour à Thèbes puisqu’il ignore entièrement sa parenté avec Jocaste. La révélation tardive de cette parenté l’accable pour des raisons qui n’impliquent aucun recours à la mémoire ou à l’inconscient. Nous sommes donc fort loin du schéma freudien. Mais qu’importe ? Freud identifiant son rapport avec son père à celui d’Œdipe avec Laïos s’empare de la mythologie grecque, reconnaît dans ses héros des clients. Le recours à l’antiquité gréco-romaine était, avant 1914, un excellent moyen d’acclimater et vulgariser une conception. Havelock Ellis avait commencé en créant le mot narcissisme. Freud a continué sur une plus grande échelle.
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