J'ai choisi de découvrir le titre de cet auteur brésilien avant les autres.
José Falero s'est fait découvrir grâce au blog qu'il tient, aux textes qu'il y a publiés, réunis par la suite dans un recueil de nouvelles. Tout comme son auteur, le roman nous vient tout droit des favelas de Porto Alegre, la capitale gaucha de l'Etat Rio Grande do Sul, situé à l'extrême sud du Brésil. Gaucha, parce que les habitants de l'état portent le nom de gaúchos » un terme désignant originellement les gardiens de troupeaux des pampas (plaines) d'Argentine et d'Uruguay. » (mylittlebrasil.com)
Si j'avais eu l'occasion à travers quelques titres précédents de visiter la région du Nordeste d'un des plus grands pays d'Amérique latine, je n'ai pas encore eu l'occasion de pénétrer ces périphéries de pauvreté urbaines, les alignements de maisons fabriquées à partir de matériaux de récupération, que l'on désigne sous son appellation portugaise, favelas. C'est aussi l'occasion de dépasser ces clichés, qui faute d'autres lectures et de temps à consacrer pour celles-ci, demeurent éternellement figés dans un coin de ma tête.
José Falero nous amène dans ce qui est son monde, ces rues pleines de maisons qui tiennent par quatre bouts de planche, où la pauvreté n'engendre que la pauvreté, et les visions d'avenirs s'arrêtant au même point que finissent leurs rues. Ces favelas excentrées de tout, de cet « asphalte » des quartiers de classe moyenne, goudronnés et entretenus, ou sont implantés écoles et autres infrastructures de la vie quotidienne. Tout cela, incarné par Pedro, rayonniste dans un supermarché quelconque, gagné par un puissant ras-le-bol existentiel sur sa condition de favelados dans laquelle il était enfermé avant même sa naissance. Avec cette conscience douloureusement aiguë de sa condition d'homme sans le sou, sans éducation, sans relation, sans d'avenir vraiment radieux qui se profile devant lui, il se décide à saisir la seule chance, pense-t-il, qui pourrait lui amener un peu de confort : le trafic de marijuana.
C'est là que se déploie tout le talent de Pedro, qui se révèle comme roi des embrouilles, et des combines, à travers une langue bien elle, celle des quartiers, celle de la légèreté de l'homme, insouciant en apparence, consommateur d'herbe, voyou à la petite semaine, une langue pas vraiment châtiée, mais qui garde pour elle toute sa puissance expressive. Car c'est une réalité plus sordide qu'elle appréhende, édulcorée par cet optimisme inébranlable, cette désinvolture, qui caractérise Pedro tout au long du livre. Il y a un décalage entre la gravité de la situation de ces maisons confinées étroitement entre une pauvreté âpre, le trafic de tout ce qui peut se vendre, la drogue encore plus, sa violence inhérente et la consommation effrénée de poudre et de cailloux, qui finissent par court-circuiter les cerveaux. Pedro est malin et intelligent, il a les pieds sur terre, c'est un bon gars, et tel un baronnet de la drogue, il va monter avec son collègue de travail, Marques, son propre réseau, bien vite, fructifiant. le discours qu'il tient tout au long de cette épopée de drogue est très sensé, terre-à-terre, objectif, sans lamentation, sans apitoiement sur lui-même, il tient lieu de constat. Ce n'est pas seulement la situation à lui, mais celle de Marques, Angelica et Daniel, le couple qui travaille l'un comme l'autre, mais sans jamais arriver à gagner assez pour refaire le parquet pourrissant de leur maison, ultime symbole de ce précarité odieusement tenace et indélébile. Pedro avec son esprit résolument gauchiste et révolté, à défaut de pouvoir lancer sa propre révolution, insuffle l'esprit à cette bande qui s'improvise narcotrafiquant le temps de mettre beurre et épinards dans leur assiette.
Il n'est jamais question de sortir de ces favelas, même lorsqu'il y aurait assez d'argent pour se faire une vie ailleurs, comme si ses habitants étaient naturellement liés à elles. Ces favelas, elles ont toutes l'air d'être une grande famille, ou tout le monde survit, avec les mêmes embrouilles, les mêmes trafics, régit par les mêmes règles, la même loi du silence. L'expression apparaît, on pourrait résumer ces vies, sans réelle et vraie perspective, d' »histoire maudite », où la force de la destinée est à l'évidence plus forte que l'envie et la volonté de se sortir des favelas. C'est un roman bien sombre, mais qui ne tombe jamais dans la commisération, en revanche la misère et le pragmatisme de ses personnages s'expriment ponctuellement dans des éclats de voix avec force et intensité, et une lucidité crue, pour crier à l'injustice qui est la leur d'avoir vécu une naissance, et de vivre une mort, aussi invisibles l'une que l'autre. On aime, également, ces remarques entre humour et sarcasme qui pointent, ici et là, de l'auteur sur la folie et démesure de son pays, dans la vie quotidienne comme dans les faits divers qui épinglent les journaux.
Quand bien même ses velléités de trafiquant de drogue, Pedro reste un personnage très humain qui ne s'attache qu'à sortir de cette condition qu'il a reçu en héritage quitte à devenir le Pablo Escobar de sa rue.
José Falero a permis de redonner une voix à ce peuple des favelas, et en partie la sienne, qui n'a pas souvent l'occasion de pouvoir s'exprimer. Des constatations désabusées, sur une partie de la société brésilienne sacrifiée, et un dénouement dans la même veine, où finalement les seules valeurs qui ne s'essoufflent pas sont celles de la famille, de l'amitié, et pour certains de l'écriture.
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