Il se sent comme ce métro qui enchaîne les stations à la poursuite d’un fantôme errant dans les entrailles de la ville.
Quand tu décroches, le monde te broie et personne ne s’en rend compte.
Un funambule. Entre ciel et terre.
Fragile équilibre, qui menace à tout moment de se rompre.
L’alcool et la rue sont des amants fidèles.
Il se moque de mourir vieux et en bonne santé. Il veut une existence à mille à l’heure, avoir cent vies en une, jouir de l’instant avec une incapable fureur. Bouffer la vie, car peut-être que tout s'arrêtera demain.
J’envoie des sourires rebondir sur les murs du couloir. Ils y croisent d’autre lèvres. S’y posent. C’est contagieux, un sourire.
Il est des oiseaux qui dorment dans les grands vents, d’autres qui veulent atteindre le soleil.
-Cadre. Milieu. Tiède. Voilà, t'es tiède, Romane. Jamais de risques, jamais de frisson. Tu dois t'emmerder sévère.
p.70
-T'étais pas en cours.
-Non.
-Tu ne répondais pas à mes messages. Et comme d'habitude, c'est plutôt moi qui fais le mort, je me suis inquiété. Sérieux tu fais peur à voir. T'es malade ? Questce que tu as ?
- Envie de mourir. Me regarde pas comme ça. J'ai mes règles c'est tout.
Je le laisse entrer, m'effondre sur mon canapé. Jules me suit, m'observe. Une mous dubitative ourlé ses lèvres.
- Et ça t'empêche d'aller en cours ?
- Ce n'est pas comme si ça me faisait plaisir de rester enfermée ici, Jules.
- Non mais je veux dire, toutes les filles ont leurs règles... Elles ne désertent pas les amphis ou leur taffetas cinq jours par mois.
Je hurlé intérieurement. Parce que déjà, non, toutes les filles n'ont pas leurs règles - elles peuvent s'interrompre pendant des années, quelques femmes ne les auront jamais, d'autres ne les ont plus. Et puis elles ne durent pas forcément cinq jours. Pure loterie. Malgré les clichés que des profs de bio nous serinent depuis le collège, on est pas toutes identiques, avec des cycles de durée identique, et des sensations identiques.
Genre moi, à quatorze ans, je me suis retrouvée aux Urgences. J'avais tellement mal. Impossible de me lever, mon père m'a portée jusqu'à la voiture. J'avais l'impression que mes organes se détachaient à l'intérieur de mon ventre. J'avais mille ans.
A l'hôpital, un médecin m'a dit que mon niveau de douleur équivalait à celui d'une femme en train d'accoucher. D'abord, il a cru que c'était l'appendicite. Raté. Il a percuté quand je lui ai expliqué que c'était à chaque fois que j'avais mes règles. >, a-t-il conclu avec un air désolé.
C'est normal.
C'est normal bordel.
Chaque gynécologue à qui j'en ai parlé depuis m'a fait la même réponse. Ton agacé et soupirs en bonus. Le problème est dans ma tête alors? Je suis le problème ? Peut être que je ressens tout cent fois plus fort que les autres. Pas de bol.
Jules me juge, je le lis dans ses yeux. Il me prend pour une chochotte. Peut être que c'est vrai. Mais j'aimerais bien qu'il partage ma réalité, juste trente secondes. Qu'il éprouvé ce que j'éprouve. Qu'on regarde s'il ne tombe pas par terre en se tordant de douleu, lui aussi. Parce que là, je n'ai pas le courage pour faire de la pédagogie.
Il sait aussi qu'il attend trop des autres. Beaucoup trop. Une soif d'absolu que rien ne parvient à étancher. Quand ses parents l'ont foutu dehors, il a réalisé qu'il ne pourrait se contenter d'une existence tiède. Il se moque de mourir vieux et en bonne santé. Il veut une existence à mille à l'heure, avoir cent vies en une, jouir de l'instant avec une implacable fureur. Bouffer la vie, car peut-être que tout s'arrêtera demain. Dans ses relations non plus il n'a pas envie de cette inconsistante fadeur.