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Critique de Nastasia-B


Ma première rencontre avec William Faulkner, il y a une douzaine d'années, n'avait pas été des plus agréables : le Bruit et la Fureur, un livre pour le moins ardu, pénible à lire et plus encore à comprendre, à la fin duquel vous êtes tout juste prêts à le relire tellement il est clair comme du jus de boudin.

De plus, j'avais été globalement déçue par le Bruit et la Fureur car, une fois le puzzle remis dans l'ordre, ce qui n'est certes pas une mince affaire, l'histoire ne m'apparut pas si époustouflante que cela.

Il en est allé tout autrement ici pour moi avec Lumière d'août. Je ne vais pas en faire mystère, c'est un livre que j'ai trouvé en tout point supérieur, non, très supérieur, à l'autre : plus long, plus dense, plus profond, bref, plus TOUT.

L'auteur n'a pas cherché ici à nous embrouiller par une narration intriquée, mais il demeure un ouvrage REMARQUABLEMENT construit, tant d'un point de vue temporel, du timing avec lequel il nous dévoile l'action, que du point de vue des personnages, je veux dire l'agencement des personnages entre eux.

J'ai beaucoup entendu parler ou lu dans les critiques qu'avec cette oeuvre — que beaucoup considèrent comme sa meilleure —, Faulkner atteint à la tragédie, au récit biblique sous des airs de roman noir. Eh bien, je pense quant à moi, que l'auteur a réussi à composer une véritable symphonie littéraire.

Le thème principal est celui de Christmas, mais on ne le sait pas dès le début, on ne le découvre que très progressivement. Aux environs de la moitié du roman, on connaît le thème, et l'on se rend compte, ému(e), que les autres personnages, ceux d'avant, ceux d'après, ne font tous que reprendre le thème, mais ils le rejouent tous selon une orchestration qui leur est propre et qui donne une incroyable cohérence à l'ensemble, comme dans une symphonie, où si les différents instruments jouent à différents moments, jamais cela ne nuit à l'harmonie d'ensemble.

Je dois dire que cette composition symphonique est d'une ampleur rarement lue en littérature, même pas dans le grand, le phénoménal Crime et Châtiment de Dostoïevski, où si de nombreux personnages rejouent effectivement le thème, ça n'est pas aussi époustouflant comme construction. Et le thème, quel est-il ? J'ai lu à droite à gauche « le destin », oui, d'accord, mais quoi « le destin » ? J'aurais tendance, pour ma part, à avancer la notion de psychogénéalogie. C'est cela même qui me semble être au coeur du travail romanesque de Faulkner ici, notamment le fait que certains d'entre nous vont dans le mur, savent qu'ils vont dans le mur mais font quand même tout pour y aller.

En somme, l'auteur, sous des airs d'écrire un roman noir, ou un roman social, ou un roman régionaliste, ou une parabole, ou une chronique de son temps, écrit en fait, ou décrit plutôt, la mécanique d'un phénomène humain, de la psychologie humaine j'entends, bien plus vaste, bien plus universel et surtout bien plus troublant.

Vous avez tous entendu parler de ces violés qui deviennent violeurs, de ces reproductions de galères de génération en génération, de ces gens qui paraissent irrémédiablement marqués du sceau de la malédiction et qui ne font rien pour faire un pas de côté. Eh bien voilà, c'est ça Lumière d'août !

La mère de Christmas, au père impitoyable, s'est fait mettre enceinte par un vaurien de passage, Lena fait de même. le pasteur Hightower vient s'empêtrer dans une profession et un lieu où il n'aurait rien à faire, mais ce lieu, justement, cette profession, justement, lui furent comme imposés, dès avant sa naissance, par les frasques d'un grand-père peu académique.

Joanna Burden est elle aussi venue accomplir un destin qui ne lui appartient pas et qui remonte à ses grands-parents. le vieux uncle doc Hines, le jeune Percy Grimm viennent tous accomplir un destin sacrificiel et violent plus grand qu'eux, de même que le père adoptif de Christmas. Byron Bunch a l'art de venir s'empaler dans un destin pourri d'avance, tout comme Christmas...

À chaque fois la victime devient bourreau ou le bourreau victime. La malheureuse Lena, victime de Lucas Burch, devient bourreau de Byron. Byron devient bourreau de Hightower, et ainsi de suite. Tout se rejoue à intervalle, en décalé, comme dans une symphonie, tous voient la vie foirer devant leurs yeux, tous voient ce qu'il faudrait éviter, tous voient le chemin de la félicité, mais tous le refusent obstinément, comme n'étant pas encodé dans leurs « gènes » ou plutôt dans leur propre destinée familiale.

Le roman n'est pas toujours captivant à lire, mais il y a une indéniable puissance, une densité rare, une pénétration dans les côtés sombres et inexplicables de l'humain, dans l'illogique, vu de l'extérieur, mais 100 % logique dès lors qu'on sait de quel logiciel est pourvu le personnage.

En somme, un grand, un très grand roman d'après moi, pas forcément toujours du plaisir à la lecture mais des choses qui remuent, et qui continuent de vous maintenir en ébullition même après l'avoir refermé, bref, la marque des grands romans, CQFD. Chapeau bas William Faulkner et pour tout autre considération, faites-vous-en votre propre opinion en le lisant par vous même et souvenez-vous que cet avis, cette ombre de décembre, ne représente pas grand-chose face à la lumière d'août. Tenez-vous-le pour dit, même si c'est votre destin.
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