Quel délicieux petit livre, écrit impeccablement, dans ce style pince-sans-rire si purement britannique qu'on a l'impression d'ingurgiter tasse de thé raffiné sur tasse de thé raffiné pendant qu'on le lit ! On se voit aussi assis sous une tonnelle, au soleil, dans un jardin anglais du plus pur style et, avec un peu d'imagination, on se croirait presque transporté dans les années trente même si l'intrigue de ce roman est tout ce qu'il y a de plus contemporaine.
Bon, d'accord, ce n'est pas du Wodehouse mais, croyez-moi, il faut se lever sacrément tôt pour imaginer des tantes Dahlia et Augusta, sans oublier des Pongo Twistleton, des Bertram Wooster et un seul mais irremplaçable Jeeves ! Et encore ne dis-je rien, vous le remarquerez, de l'univers complètement loufoque du château de Blandings avec son Impératrice !
En fait, j'ai lu "
Snobs" en deux temps car son intrigue, légère, mi-figue, mi-raisin, ne s'accorde guère avec les pages qu'un autre Britannique,
Anthony Beevor, a écrites sur
la guerre d'Espagne. L'intrigue, donc, disais-je, c'est un peu Quasi-Cendrillon qui rencontre le Prince-Pas-Très-Charmant-Mais-Supportable et qui l'épouse. Quasi-Cendrillon, c'est Edith Lavery, une jeune fille charmante, jolie, pétillante, intelligente même mais qui n'appartient en rien à la gentry. le Prince-Pas-Très-Charmant-Mais-Supportable, c'est Charles, comte Broughton, qui, lui, est né avec une cuillère d'argent dans la bouche, pas mal de gentillesse dans le coeur, la hauteur certaine de sa caste quand il se croit attaqué (ou lorsqu'il se sent en position de faiblesse, car il est assez timide) et quelques menues choses dans le cerveau. Il n'est pas bête, non, ce n'est pas ce que je veux dire : un peu lent, peut-être. Il aime la vie à la campagne - c'est l'une des rares choses qui soulèvent son enthousiasme dans l'existence et dont il pourrait parler des heures jusqu'à ce que vous lui demandiez grâce - il dit toujours merci à sa jeune femme après un rapport sexuel, il adore sa mère, lady Dont-Je-Ne-Me-Rappelle-Plus-Le-Nom mais dont je n'oublierai pas le surnom : "Googie", il aime aussi son père et il se plie religieusement aux impératifs mondains. A part ça, il n'a rien d'un playboy. Mais que voulez-vous, il a un nom, des ancêtres et de la fortune. Pas si sot que cela, il souhaiterait trouver une épouse à son goût, pas nécessairement dans sa caste. Depuis les écarts que se sont autorisés les princes royaux, la petite noblesse britannique peut, elle aussi, se permettre quelques écarts, by Jove !
Charles tombe amoureux d'Edith. Celle-ci tombe surtout amoureuse du style de vie qu'il symbolise. Et puis, en femme pratique mais en jeune femme , elle pense qu'il changera certainement, qu'ils se découvriront plus de goûts communs, une "pétillance" commune, un sens de l'humour aussi féroce chez l'un que chez l'autre ...
Alors, l'inévitable se produit. Très vite, Edith, qui ne parvient pas à vrai dire à s'habituer aux remerciements que lui transmet solennellement son époux après chaque rapport conjugal (j'avoue que ça m'aurait posé problème, à moi aussi, pas à vous, les filles ? Quid Quid ), s'ennuie et se lasse. Elle tombe dans les bras de Simon, l'Acteur-Beau-Gosse-Au-Physique-Romantique (une sorte de Hugh Grant au temps de sa douce jeunesse, si j'ai bien compris). Et elle quitte Charles et sa comté - tout à fait comme elle laisserait tomber deux vieilles chaussettes de chez Marks-&-Spencer - pour s'enfuir avec lui. Simon, vous comprenez, il est beau, il a de l'esprit, il connaît plein de potins, et en plus, il ne la remercie pas après qu'ils ont fait l'amour. Si remerciements il devait y avoir, on peut même dire que ce serait plutôt Simon qui s'attendrait à ce qu'Edith lui en fît ...
Ensuite ...
Ensuite, je vous laisse à votre lecture. Mais sachez que tout se termine bien, que le Beau-Gosse-Romantique part, avec sa femme (oui, il était marié) à Hollywood et qu'Edith et Charles ...
Un petit livre charmant, je le répète, délicieusement écrit au-delà la traduction, avec une ironie fine et sans aucune prétention, que je recommande à tous ceux qui veulent se délasser sans se casser la tête et sans voir intervenir le personnage, lui aussi très intéressant en son temps, du Tueur-Qui-Tue-Tout-Ce-Qui-Bouge - un personnage que la surenchère dont il est actuellement victime commence à rendre, il faut bien le dire, assez ennuyeux et aussi peu crédible que possible. ;o)