Ici, on n'attend rien, on ne cherche rien de nouveau, avec cette conséquence que tout est à chaque instant nouveau, par l'approfondissement qu'on fait du même. La beauté pure ne lasse jamais.
Le défilé des pins, des mélèzes, des bouleaux a quelque chose d'ensorcelant. La vitesse réduite du Transsibérien donne l'impression qu'on se promène à pied ou à cheval au milieu des arbres.
Je reconnus qu'en Tatarie régnait le même code de beauté qu'en Sicile : minceur nerveuse aux hommes, opulence charnelle aux femmes. Joie de vivre sur le visage mobile des garçons, bonheur de se laisser contempler sur le visage pétrifié des filles. Aux premiers le rôle actif, aux secondes l'indolente quiétude que procure le sentiment d'une plénitude physique qui se suffit à elle-même.
Trois étaient les modèles que s'était choisis Travine, et aucun des trois ne correspondaient à l'idéal communiste. Faust le fascinait, pour son appétit insatiable de savoir; Ulysse, pour sa soif d'aventures et sa volonté de reculer le plus loin possible les limites du monde connu; don Quichotte, pour sa noblesse désintéressée au service de la justice et de la beauté.
N'oublions jamais le devoir de mémoire envers les millions de victimes, tant de l'autocratie impériale (on évalue le nombre des déportés, de 1801 à 1887, à plus de six cent mille) que du Goulag soviétique. Mais ce voyage nous aura appris que nous en tenir à cette image de despotisme et de misère, rester fixés au souvenir de ces processions de forçats dans la boue et la neige, serait vénérer un cliché. Et commettre une injustice aussi sotte, aussi absurde, que si nous nous obstinions à réduire la conquête de l'Ouest américain au génocide des tribus indiennes.
Voir la Sibérie, et ne plus craindre désormais de mourir : l’homme à qui la vastitude de la taïga, la beauté des lacs, la majesté des fleuves ont inspiré cette pensée peut être cru sur parole. Il avait mesuré l’immensité de l’humaine folie, mais pris le parti d’y être indulgent, la compassion lui paraissant plus féconde que la médisance.
Si le bagne a disparu, le train vers la Sibérie reste un supplice pour cette plèbe accablée par la puanteur, la touffeur, la fournaise de ces wagons où chacun ne dispose que d'un mètre carré sans aération.
C’est un art sévère, sans ornements, sans fioritures, l’art du socialisme et de la rigueur.
Comme toujours, en Russie, le moindre arpent de terrain remue dans la mémoire des siècles d’histoire et de tragédies.
Mélange de tendresse et de brutalité, de sensualité et de fougue, énergie indomptable alliée à quelque langueur orientale, douceur prompte à s’enflammer (...).