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EAN : 9782253112754
790 pages
Le Livre de Poche (13/04/2005)
4.1/5   177 notes
Résumé :
Rome, 1600. Un jeune peintre inconnu débarque dans la capitale et, en quelques tableaux d'une puissance et d'un érotisme jamais vus, révolutionne la peinture. Réalisme, cruauté, clair-obscur : il bouscule trois cents ans de tradition artistique. Les cardinaux le protègent, les princes le courtisent. Il devient, sous le pseudonyme de Caravage, le peintre officiel de l'Eglise. Mais voilà c'est un marginal-né, un violent, un asocial ; l'idée même de " faire carrière " ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (26) Voir plus Ajouter une critique
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Michelangelo Merisi, né à Caravaggio dans le duché de Lombardie, le 29 septembre, jour des saints Michel, Gabriel et des saints Anges, mort le 18 juillet à trente-huit ans sur la plage de Porto Ercole en Toscane dans des circonstances non élucidées.
Paulo Quinto Pontifice Maximo


Quelle passion, quel feu intérieur brûle à la fois Michelangelo Merisi dit « le Caravage », et son créateur littéraire « Dominique Fernandez » pour que les deux puissent entrer en résonance au point de nous entraîner dans une course à l'abîme fascinante. La projection de l'auteur sur le peintre mêle leurs deux intimités, c'est impossible autrement de pouvoir donner autant d'épaisseur, de réalisme, au récit inspiré par les tableaux du Caravage d'autant plus que cet artiste n'a rien laissé derrière lui ou pas grand-chose si ce n'est son trésor artistique.

Michelangelo Merisi est né en Lombardie. On sait qu'il aime les garçons, qu'il a séjourné à Rome, Naples, Malte pour finir assassiné sur une plage. Il n'en fallait pas plus pour laisser l'imaginaire de Dominique Fernandez combler, avec aisance, ce vide et nous emporter dans un tourbillon d'une érudition folle, où suinte son amour de l'Italie, sa connaissance du Baroque italien et son militantisme mais surtout son génie. Cette manière de s'approprier les épisodes inconnus d'une existence pour en compléter la trame, on la retrouve avec le Tribunal d'Honneur sur Tchaïkovsky du même auteur. Académicien, à l'oeil averti, il sait nous parler du beau. Véritable esthète, il est un guide à nul autre pareil. Son écriture exprime le moindre détail et nourrit, ainsi, notre représentation de l'histoire. Elle est empathique, tout en arrondi, sans heurt malgré les évènements parfois rapportés, malgré des passages crus, elle est comme une eau de source qui s'écoule, claire, en dépit des remous du récit, elle nous emporte bien au-delà du tangible, là où elle veut nous raconter la Rome baroque et ses joyaux.

Michelangelo est un peintre encore inconnu lorsqu'il arrive à Rome. Il suscite l'intérêt du Cardinal Francesco Maria del Monte qui va devenir son plus important commanditaire. le Prélat décèle-t-il chez le Caravage les qualités recherchées pour révolutionner la peinture, apporter un nouveau souffle à cet art, d'autant plus que c'est la période de la Contre-Réforme, l'Eglise met tout en oeuvre pour lutter, rivaliser, effacer le protestantisme. Ce renouveau donne naissance au Baroque, mouvement de grande ampleur qui va permettre aux plus grands artistes italiens de l'époque d'exprimer tous leurs talents, leurs émotions, leurs approches de la réalité en jouant avec les contrastes de la lumière tel le « clair-obscur » qu'utilise le Caravage dans de telles proportions que nait le « ténébrisme ». Cette période est une véritable explosion artistique. Ce renouveau n'épargnera pas le domaine musical, allant jusqu'à modifier la conception du concert de musique.

Le Caravage, ce peintre rebelle, anticonformiste, ce tourmenté qui ne peut s'accorder trop longtemps le bonheur, ce génie provocateur joue avec le feu sachant que l'Inquisition le surveille de près mais il ruse et tient à son indépendance artistique. L'auteur nous créé des échanges entre les prélats, des débats scolastiques sur des points de symbolique chrétienne, relevés dans la peinture du Caravage, d'un réalisme à couper le souffle. On tremble à l'idée que soient découverts certains détails provocateurs voire païens !

Dominique Fernandez a observé qu'un même visage de garçon se retrouvait à plusieurs reprises dans la peinture du Caravagio. de cette observation, lui est venue l'idée géniale d'imaginer l'histoire qui pouvait relier ce garçon au Caravage. Il utilise les modèles pour alimenter la fiction. Chaque tableau devient prétexte à la création d'un récit à la fois instructif sur les comportements de l'époque mais aussi d'une inventivité dans laquelle, on s'immerge avec enthousiasme. Son italophilie nous immerge dans l'histoire de la Rome baroque, dans les méandres du pouvoir temporel du Vatican et de sa diplomatie. L'Italie est divisée entre le camp des Espagnols et celui des Français. Nous retrouvons les négociations qui ont abouti au mariage d'Henri IV et de Marie de Médicis.

Après une lecture d'une telle finesse, d'une telle densité, le regard se modifie, il devient impossible d'admirer les oeuvres du Caravage sans le filtre de Dominique Fernandez.

Que d'horreurs commises au nom de Dieu mais que de splendeurs réalisées à sa Gloire.
Si Dieu a inspiré son Requiem à Mozart, il a inspiré le Caravage à son corps défendant, lui qui s'est toujours comporté en peintre rebelle.

J'ai refermé ce livre avec des étoiles plein les yeux. Merci Xavier @Aquilon62 de m'avoir incité à lire ce livre sans tarder alors qu'il dormait sur mes étagères depuis quelques temps et ravie aussi de partager nos ressentis avec Bruno @Pancrace.

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Quelle richesse que ce livre ! On a tous les sens en éveil en découvrant la complexité de ce peintre.
Dominique Fernandez décrit avec une telle précision et le talent qu'on lui connait, les tableaux, les rues mais aussi les tourments du Caravage que l'on lit autant que l'on voit ou encore que l'on ressent.
Dire que j'ai appris est un euphémisme. Moi qui étais, je l'avoue hermétique aux tableaux du Caravage, je n'ai qu'une hâte maintenant c'est d'aller les admirer et je sais que j'en ressortirai bouleversée !
Dominique Fernandez nous aide à comprendre la subtilité des tableaux, à saisir certaines techniques comme le clair-obscur, à sentir l'atmosphère qui règne dans cette Rome du XVIIème.
La proximité avec internet est incontestablement un plus. Je n'ai cessai d'aller visualiser, les oeuvres mais aussi les rues, les places, les fontaines que nous dépeint D. Fernandez.
Je sais que les 800 pages « effraient » certains lecteurs, mais n'ayez aucune crainte, ce roman se lit très très vite et 200 pages de plus n'auraient pas été de trop !

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C'est le Caravage lui même qui nous raconte sa vie sous l'exellente plume et érudition de Dominique Fernandez.Il va s'expliquer sur son parcours et donner sens à la toute dernière scène de son existence: sa mise à mort.L'originalité de cette parole post mortem offre le recul constructif d'un regard analytique et matûre sur l'engrenage des événements, sur les raisons profondes qui ont motivé ses choix, son oeuvre, ses amours.
Si le faisceau lumineux est orienté sur la vie privée du peintre, la toile de fond historique est loin d'en être négligée.Les rouages politiques, les intrigues du Vatican, les obsessions du Saint Office, les luttes de pouvoir etc...sont dépeints avec autant de minutie et d'intelligence que les oeuvres picturales.
Nous découvrons un homme dont le conflit intérieur ne s'est jamais apaisé et qui lui est crûment affirmé par un Cardinal:"..je vais te dire ce qui cloche sous ton crâne.Ne m'en veuille pas de ma franchise.Tu voudrais occuper toutes les places:celle du Favori et celle du Maudit.Te sentir l'Elu et l'Exclu..."
Dualité et tourments qui sont le moteur de sa créativité et qui ne sont selon lui " que des moyens de compenser un manque originel , ce vide de père en moi...". Il n'a de quête que d'être reconnu,adulé mais se morfond lorsqu'il obtient cette approbation puisque pour lui l'Art ne peut éxister que dans la remise en question de la norme.Il veut rompre avec la beauté classique,choquer pour être rassuré sur l'esprit novateur de son art.Il n'existe que dans la passion et le danger.Le confort et la sécurité le mortifient,pas question de de se conformer à un modèle imposé.Cette vérité dans la création l'est aussi pour sa vie amoureuse "...le seul amour qui compte est celui qu'il faut mériter,qui est remis tous les jours en question,qui peut manquer d'un moment à l'autre..."
Jamais encore je n'ai lu de roman sur un peintre qui m'ait donné autant de clés de compréhension pour décrypter un tableau,sur la double lecture qui est parfois indispensable pour y accéder .Le plaisir qu'il y a à repérer les symboles, les messages cachés,les allusions destinées à certains à l'insu d'autres..Ce n'est pas un livre à ne lire qu'une fois car la 800ème page terminée, le désir d'une seconde lecture s'impose avec l'arrière pensée d'en extraire la substantifique moëlle afin d'aller ensuite contempler tous ces tableaux avec émotion,spontanéité mais aussi avec les codes pour en apprécier tous les aspects! Paraléllement à tous ces bonheurs que Dominique Fernandez offre au lecteur, s'ajoute celui de sa passion pour l'Italie qu'il nous fait partager par des promenades dans rome et Naples qui ravivent moult souvenirs pour qui a eu la chance de s'y ballader.On perçoit l'amoureux de l'Italie, l'amoureux de l'Art mais aussi l'amoureux de l'Amour...à chaque page de son roman.
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Pour moi ce livre est à la fois un chef d'oeuvre, une madeleine de Proust, un livre qui quelle que soit la page où vous l'ouvrez, vous happe immédiatement,


Mais laissons la parole à Dominique Fernandez/Michelangelo Merisi
"Je n'ai jamais écrit sur mon art, ni laissé de théorie sur la peinture. Après cette déclaration, je n'ai plus retrouvé l'occasion de dire comment j'entends mon métier. Les juges, les confrères, amis ou ennemis, les chroniqueurs, les curieux, accourus nombreux au tribunal, furent stupéfaits de mon laconisme. A Rome, on aime les longues phrases, le jargon. Avant de commencer à peindre, on noircit des pages et des pages pour expliquer quelle est la meilleure manière de s'y prendre. Moi, je peins, en m'efforçant d'imiter bien les choses de la nature. Mon « art poétique » tient tout entier en ces quelques mots."

Toute la vie de Caravage tient sous la plume de Dominique Fernandez et sous cette phrase. Car en 600 pages c'est une vie qui défilé sous nos yeux grâce à la somptueuse écriture de l'auteur.

Constantino d'Orazio écrit en préambule de son livre Caravaggio Segreto (non traduit en français malheureusement) : "Toute la carrière de Caravaggio se résume en un seul objectif : conquérir l'immortalité"

Ironie du sort c'est un "Immortel" français qui nous offre très certainement le plus beau livre qui soit sur ce peintre. Soyons clair c'est sous l'angle de cette autobiographie imaginaire, que Dominique Fernandez déploie toute sa verve, son érudition, son italianisme devenue Italianité, pour tenter d'effleurer les ambiguïtés de l'enfant terrible de la peinture italienne. Pour un livre aussi beau qu'une toile. Magnifique.

Que sait-on de Caravage ? Très peu voire rien.
De sa date de naissance incertaine, à sa mort inexpliquée.
Longtemps on fixée sa naissance à l'année 1573. On s'accorde maintenant sur 1571. L'acte de baptême a disparu.
Même le lieu de naissance n'est pas sûr. Caravaggio ? C'était le village de sa famille, en Lombardie, où il a passé son enfance.
Mais il est possible qu'il soit né à Milan.
Ensuite, jusqu'à son arrivée à Rome, vers 1592, où a-t-il vécu ?
Qu'a-t-il fait ?
De treize à dix-sept ans, il est en apprentissage à Milan, chez le médiocre peintre Simone Peterzano. de dix-sept à vingt et un ans, on perd sa trace.
A-t-il voyagé ? Est-il allé à Venise ?
Dès son arrivée à Rome, il montre une maîtrise étonnante. 7
Sans avoir fréquenté aucun grand peintre, ni été élève d'une académie de renom, il peint des tableaux merveilleux, qui ne ressemblent à rien de ce qui a été fait avant.
Où a-t-il appris son métier ? On ne possède aucun dessin de lui, cas unique pour un peintre italien. Sans doute ne savait-il pas dessiner. Il appliquait directement les couleurs sur la toile, en partant du fond et en la remplissant peu à peu de personnages.
Quant à sa vie privée, elle est encore plus mystérieuse. Il n'a rien écrit, n'a laissé aucun journal, aucune lettre, aucun document de quelque sorte que ce soit. Sa peinture révèle un tempérament passionné, mais on n'a aucune certitude sur l'identité ni même sur le sexe des personnes qu'il a aimées. La pruderie habituelle aux historiens de l'art a longtemps brouillé les cartes.
Jusqu'à ce nom, Merisi, qu'il changera :
"Et d'abord : quitter ce nom de Merisi, qui était le nom de mon père, de mon grand-père, de mon arrière-grand-père, de tous ceux dont je résultais et qui formaient depuis Adam une chaîne ininterrompue. Briser cette chaîne. Renoncer à cette estampille. Refuser de m'appeler d'un nom qui avait servi à tant d'autres. En prendre un qui ne serait qu'à moi.
Je passais en revue les divers pseudonymes adoptés par les peintres. le métier de leur père, qu'ils avaient eux-mêmes exercé dans leur jeunesse, les avait souvent inspirés. Andrea del Sarto, fils et apprenti du Tailleur. Tintoretto, fils du Teinturier et petit teinturier. Pollaiolo, qui s'appelait Benci, avait choisi ce sobriquet parce que son père faisait commerce de poulets. D'autres s'étaient contentés de rallonger leur prénom : faisant de Donato Donatello, de Giorgio Giorgione, de Tommaso Masolino. Sa spécialité avait fourni son surnom à Fra Angelico, ses moeurs à Sodoma (quel mauvais goût, tout de même!), son lieu d'origine à Veronese, à Léonard de Vinci, à Perugino. Tiens ! Pourquoi pas Caravaggio Il me passa bien par la tête que c'était une autre façon de m'ancrer dans le passé, que de porter le nom de mon village natal, mais j'écartai l'objection.
Caravaggio, ces quatre syllabes me plaisaient. Longueur d'un bon coup d'épée. le mot rimait avec selvaggio, avec malvagio. Il avait je ne sais quel air de fierté et d'audace. Flottait comme un étendard. Claquait comme une gifle. Caravaggio. le double g, qui sonne comme une charge."

Alors il reste les tableaux, voilà la seule source sûre pour nous guider dans notre enquête. Nous disposons souvent des contrats, documents précieux qui nous renseignent sur le sujet commandé, le nom du commanditaire, la somme payée, l'évolution de la cote du peintre. Mais les seuls vrais témoignages dont nous disposons ce sont ces tableaux, et il suffit de les regarder, de les lire, de les déchiffrer, pour surprendre des secrets que ne nous révéleront jamais les archives.

A La Valette, La « Décollation de Saint Jean-Baptiste », réalisée in situ est une oeuvre monumentale (361 × 520 cm) est l'unique peinture signée par le Caravage, voici les mots magnifiques de l'auteur sur cet acte inhabituel, anodin mais chargé peut-être de sens, car avec Caravage ne semble laissé au hasard :
"Le tableau destiné à l'oratoire était presque fini. Pour la raison que j'ai exposée lorsque j'ai adopté un pseudonyme, je n'avais jamais signé aucun de mes ouvrages. L'envie, que dis-je? le besoin me prit soudain d'apposer ma signature sur celui-ci, et d'en faire un élément du tableau. Pourquoi rompre avec mes habitudes et faire parade de ce que j'avais décidé de garder toujours caché? Parce que, dans mon esprit, je dédiais cette toile à mon père, à la mémoire de mon père traîtreusement assassiné. C'était mon premier acte direct d'allégeance à mon père, et je devais l'assumer pleinement. Il ne s'agissait pas de moi mais de lui. Quel nom choisir ? Merisi ? Caravaggio ? Non : nul autre nom que mon simple prénom, Michelangelo, que j'avais reçu de mon père, quand il m'avait tenu sur les fonts baptismaux. Ce geste d'amour qu'il m'avait témoigné ce jour-là, je le lui rendais, en quelque sorte, en dessinant pour lui ces cinq syllabes, le don le plus personnel qu'il m'eût jamais fait, et le seul que je gardais de lui. Ton fils, père, se souvient. Il ne t'a pas oublié, ton enfant.
Où poser cette signature ? Au bas, bien entendu : dans le coin droit, sous la fenêtre, près de la corde dont le bout traînait par terre, là où se trouvait un espace libre. J'hésitais encore, lorsque mon regard fut attiré vers le sang qui jaillissait du cou de saint Jean. le sang : seul sujet de mon tableau, le sang, qui serait aussi l'encre dans laquelle j'écrirais mon nom.
Et tout à coup, pendant que je traçais en lettres rouges dans le prolongement du flot de sang : Michelangelo, un autre sens de mon geste m'apparut. Signer dans le sang du Baptiste, c'était m'identifier complètement à la victime. Pour une fois où je me mettais en avant, je ne me présentais que sanglant. Me voici, à la première personne, mais la tête détachée du corps. le moi que j'affiche est un moi décapité. Ne m'accusez pas de vanité : ce peintre qui attire sur lui l'attention n'est déjà plus de ce monde. le double sépulcral de celui que j'ai été reste seul à parader en mon nom. Autoportrait, mais d'outre-tombe. le front blanc, l'oeil éteint, la bouche entrouverte appartiennent au cadavre de feu Michelangelo.
Pour souligner cette intention, je rajoutai, devant Michelangelo, un F. le F de feu, « il fut », le sceau de la mort sur le prénom que m'avait donné mon père.
Alessandro, épouvanté, me supplia d'effacer mon nom. Il craignait l'impression fâcheuse que ne pourrait manquer de faire sur son maître la vue de ces lettres ensanglantées. « On dirait que c'est vous qui avez commis le crime ! »
Alof de Wignacourt approuva au contraire ce qu'il appela un témoignage éclatant de ma solidarité avec les Frères au nombre desquels je venais d'être admis. Il ne comprit pas le sens de ce F. Pour lui, c'était l'abréviation de Frate. En signant Frate Michelangelo, je réaffirmais mon engagement dans l'Ordre, et, en trempant cette signature dans le sang, je promettais à nouveau de défendre l'Eglise sans jamais demander quartier ni économiser ma peine ni chercher à préserver ma vie."

Il est troublant de comparer et de penser que le peintre de Narcisse et de la Tête de Méduse, soit le même, soit celui qui a réfléchi aussi radicalement à l'essence morbide de la ressemblance – à ce qui tue au fond du regard – ait ainsi perdu la possibilité de se reconnaître.
Dans la Chapelle Contarelli à Rome, lorsqu'un touriste bien avisé glisse une pièce pour enclencher l'éclairage, c'est un triptyque où les tableaux se répondent qui s'offre à notre regard, paradoxe de la lumière artificielle pour nous révéler le clair-obscur.

Avec Dominique Fernandez comme guide on, assiste à la naissance du peintre, à l'ascension vers la renommée, à sa fureur devant l'imposture de sa gloire et à sa chute, qui se veut inévitable. La relation des aventures et revers de fortune de l'artiste s'ouvre en effet sur sa fin brutale et inexpliquée, comme si, pour respecter le silence de celui qui, de son vivant, n'a jamais ni théorisé son oeuvre ni commenté sa vie, l'auteur n'avait voulu donner la parole au peintre que par le truchement d'une biographie romancée à la première personne. le silence de l'un devient le pari de l'autre.

Pari réussi puisque, à travers son commentaire des tableaux ou les rouages de leur création, l'auteur invente une vie qui n'a pour pour unique ancrage que l'oeuvre. Et comme pour rendre un dernier hommage à celui qui innova en prenant pour modèle l'homme en lui-même et non plus sa représentation statique et antique, l'auteur fait revivre les toiles du peintre en les inscrivant à l'intérieur d'une histoire autre que celle, figée, de l'art. L'oeuvre du Caravage devient, sous la plume de l'auteur, une histoire personnelle.

L'oeuvre se mêle ici au corps, avec sa part d'ombre et de lumière, ses failles et défaillances, ses plaisirs et ses excès. Les tableaux créés, le contraste des couleurs choisies, la cruauté des scènes deviennent le prolongement du désir qui habite et tourmente l'homme. Fernandez nous trace le portrait d'un peintre déchiré entre la gloire et le bruit que tour à tour son oeuvre attire et attise, entre la nécessité d'un quotidien réconfortant qui lui permet de réaliser son oeuvre et l'appel de la chair qui seul parvient à catalyser sa force créatrice.

Ses contrastes d'ombres et de lumière, jetés à la face des hommes, bouleversent dans leur vérité immédiate, sans tricherie, nue. En vérité, ce sont nos ombres, ce sont les reflets de nos vies, exposés à la lumière d'un esprit tourmenté, un rebelle, dirions-nous aujourd'hui, qui aspirait à une sorte d'élévation. Somme toute son génie est dans son oeuvre, non dans ses turpitudes.

Notre regard sur son tempérament porté à la cruauté, à la colère s'atténue en face de cette oeuvre protéiforme. Ses contrastes d'ombres et de lumière, jetés à la face des hommes, bouleversent dans leur vérité immédiate, sans tricherie, nue. En vérité, ce sont nos ombres, ce sont les reflets de nos vies, exposés à la lumière d'un esprit tourmenté, un rebelle, dirions-nous aujourd'hui, qui aspirait à une sorte d'élévation. Somme toute son génie est dans son oeuvre, non dans ses turpitudes.

C'est désormais à travers sa peinture qu'il faut voir la grandeur de l'homme, son profond humanisme, sa religiosité : la passion de toute une vie. C'est une grande oeuvre de liberté. Une part significative de sa vie est entachée d'ombre. Malgré tout, il a su trouver sa voie dans l'insubordination, hors de l'art officiel, des sentiers battus, des règles imposées. Il nous lègue des sources vives où nous pourrions puiser de nouvelles lumières sans nous égarer sur les chemins du jour. La clarté de l'être, la profondeur de l'homme, la lumière et la beauté de ses oeuvres sont là, profondes, troublantes, parfois sereines. Elles s'imposent sur nos chemins de connaissance. le silence puis l'oubli qui ont recouvert la disparition prématurée du peintre ainsi que la redécouverte tardive de sa peinture, deux siècles plus tard, c'est l'une des ressources cachées des dieux. Qui en décrypte le sens véritable se rapproche, à coup sûr, du noyau germinal de la Création.

Et pour terminer, sur cette immortalité que je mentionne en début de critique je me permets de citer la dernière page du dernier manuscrit de Jean d'Ormesson, autre "Immortel".
« Une beauté pour toujours. Tout passe, tout finit, tout disparait. Et moi qui m'imaginais devoir vivre toujours, qu'est-ce que je deviens ? Il n'est pas impossible… mais que je sois passé sur et dans ce monde où vous avez vécu, est une vérité et une beauté pour toujours et la mort elle-même ne peut rien contre moi.»
Une phrase qui pourrait résumer également l'oeuvre de Caravage....
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Faut il connaître la vie d'un artiste pour connaître son oeuvre ? Comme en peinture..il y a plusieurs écoles. Cela dépend-il du peintre ? cela dépend-il de son l'époque ? Comment comprendre les oeuvres de Caravage si on ignore leur contexte historique ? Comment comprendre le 17e siècle sans le Carvage ? Comment comprendre Rome ? La papauté ? Comment comprendre Raphaël, Michel-Ange, où placer Rubens ? Ceux qui l'ont précédé , ceux qui l'on suivi ?
De Milan, à Rome, de Malte en Sicile, pour son dernier regard en Toscane.
Roman de fiction, soit, roman à la gloire d'un génie.
A la fois maudit et reconnu, torturé et provocant. Michelangelo Merisi aimait la lumière naturelle. Il aimer sa flamme et s'amuser follement de ses feux.
Toujours au devant de la mort jusqu'à en perdre la vie.
Il était inventif, impulsif, amoureux. Il était étonnant, irritant et déroutant. La vérité des corps, la vérité des âmes, de leurs passions, des leurs extases, de leurs douleurs, de leurs damnations.
Le roman de Domminique Fernandez vos fera découvrir les mille et un mystère de l'oeuvre du Caravage. Garçon avec un panier de fruits , David et Goliath, Méduse, L'Amour victorieux, Saint Matthieu et l'Ange et de tant d'autres.
Chaque oeuvre a sa propre histoire, son sens, sa détermination, sa vérité, à la lumière des ses heures.
Brûlant, incandescent. Si il n'a pas inventé le clair obscur, puisque celui ci était connu depuis l'Antiquité, il s'en est rendu Maître et a changé l'histoire européenne de la peinture.
Brisant la tradition, le maniérisme, les demis teintes, les demi tons, chassant incandescence des fausses pudeurs, il a su toujours éviter le bûcher. Mais toujours de si peu...
Marqué à l'épaule au fer rouge d'une fleur de chardon, il n'aura jamais oublié, jamais pardonné.
Il a rusé, s'est échappé, caché, sachant réapparaître pour mieux incendier.
Personnage hors du commun, peintre exceptionnel.
Oui il faut connaître ou imaginer la vie d'un artiste pour connaître son oeuvre. Savoir s'interroger.
Marque moi de ton fer
entre l'oeil et la lèvre.
Dépose et force ta lettre d'or
Que l'odeur du vivre me revienne,
Et que rouge dans ma peau il soit écrit
enfin qui je suis.

Astrid Shriqui Garain

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Citations et extraits (74) Voir plus Ajouter une citation
Arrestation de Michelangelo du fait de son amitié pour Matteo et de tous les membres, adeptes de l'Eglise des Portugais, sur ordre de l'inquisiteur pour la Lombardie, don Pietro Morello, appartenant à l'ordre des Dominicains, Domini Canes, chiens de Dieu.

L'instruction dura plusieurs mois. La marquise Costanza Sforza Colonna étant intervenue en ma faveur, on m'autorisait à peindre. La châtelaine de Caravaggio gardait de puissants appuis auprès de l'Evêché. On m'apporta un chevalet, des couleurs, une palette, des toiles, des pinceaux. Mon grand-père, avec toute la famille, était fier de moi. Je m'étais rallié au parti de leur faire croire que j'avais comploté contres les Espagnols. Il n'eut pas la permission de me rendre visite mais on me remit, de sa part, la collection de gravures de mon père qu'il avait eu l'excellente idée de laisser au guichet de la prison. Je voulus aussi du papier et des crayons. Requête cette fois écartée : on craignait que le papier ne me servît pour communiquer avec l'extérieur. Mes biographes se sont demandé pourquoi on n'a retrouvé aucun de mes dessins. Seul de tous les peintres italiens, je ne suis connu que par des tableaux . La réponse est simple : je n'ai jamais dessiné. Maître Simone négligeait cette partie de l'enseignement. Quand j'aurais pu mettre à profit ma captivité pour rattraper mon retard, aucun des moyens nécessaires ne fut mis à ma disposition.
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En effet , le baptistère de notre village n'est pas de forme circulaire, c'est une sorte de gros pigeonnier à huit côtés et à huit angles.
"Un octogone, dit ma mère. Le monde a été créé en sept jours. Sept est le nombre de la plénitude, de la totalité. Huit exprime le renouvellement, ce qu'il y a au-delà de la perfection. Christ, c'est le huitième jour qu'Il est ressuscité. La Résurrection universelle adviendra lorsque les sept âges du monde se seront écoulés. Tu me suis ? Les baptistères ont toujours huit côtés, parce que le baptême est le moyen et la condition de la Résurrection. Le baptême nous ôte le péché originel, de même que ....." Elle s'arrêté et rougit. Mais elle en avait trop dit pour me laisser dans l'ignorance. "Vois-tu, mon mignon (jamais cette femme, ennemie du Poverino!, ne m'appelait ainsi), Notre Seigneur Jésus-Christ a été circoncis le huitième jour après sa naissance pour nous laver, dans sa personne, du péché originel. Le péché originel, reprit-elle en baissant la voix, qui a sa source précisément dans cette partie du corps (elle rougit à nouveau) dont le Grand Prêtre a purifié Jésus le huitième jour dans le Temple. Circoncision et baptême diffèrent par la pratique mais s'accordent par l'effet. Le nombre huit, commun aux deux opérations, révèle le plan établi par Dieu pour le salut de notre âme".

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Lena et Fillide emménagèrent dans une grande maison de la via dell'Occa que le pape avait réquisitionnée. Anxieux de retrouver Anna, je partis à sa recherche avec Mario. Le délai expirait à deux heures. A quatre heures, à force de battre les quais, lieu de rendez-vous des chats et des perroquets, nous tombâmes sur un attroupement de curieux. Je craignais qu'Anne ne se fût jetée dans le Tibre pour échapper aux sbires. Une femme attachée toute nue sur un âne était conduite en prison. Quatre gendarmes pontificaux l'escortaient. Chacun levait son fouet à tour de rôle et la fustigeait en cadence : un coup tous les deux pas de l'aliboron. Je me souvenais de ce que m'avait dit Pietro Moroni, au sujet des juifs qu'on promène nus sur le Corso, pendant le carnaval, en signe de dérision et de mépris.
Je n'eus pas besoin d'écarter les curieux pour reconnaître la crinière flamboyante. L'humiliation s'ajoutait au châtiment. A celle qui avait montré une modestie si émouvante quand elle avait posé pour la Madeleine repentie, et qui, en Madone du Repos en Egypte, s'était abandonnée avec un naturel si touchant à son instinct maternel, ni la douleur ni la honte n'arrachaient un cri. Ses mains qui pendaient inertes contre les flancs du quadrupède, n'avaient plus la force de cacher ce que les badauds lorgnaient en ricanant.
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" La mort de la Vierge" - Exposée au Louvre

Ne pouvant convaincre Lena de se prêter à mon idée, je dus me mettre en quête d'un autre modèle. Un jour que je me promenais le long du Tibre, j'aperçus un attroupement. On avait repêché une noyée qu'on étendait sur l'herbe. C'était Adriana, une prostituée bien connue. Enceinte, elle s'était jetée dans le fleuve pour ne pas mettre au monde une créature promise au malheur. Je demandai la permission de me rendre à la morgue et de peindre le cadavre. Ce fut ma dernière folie que de prendre pour modèle de la Vierge, une femme coupable de trois crimes. Par pure solidarité avec une consœur infortunée, et dans l'espoir de me dissuader d'un acte aussi déraisonnable, Lena avait tenu à m'accompagner à la morgue. Assise à côté de moi, elle me regardait travailler, prête à intervenir pour limiter le blasphème. Le cadavre était couché, les bras allongés le long du corps. Lena me suggéra une variante qui s'est avérée de tous les détails le plus touchant, celui qu'on remarque d'abord dans cette vaste composition. Elle prit une main de la morte et la plaça sur son ventre, à l'endroit où Adriana eût senti bouger son enfant, si elle ne s'était pas damnée en lui ôtant la vie.
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En attendant, je continuais ma série de portraits de Mario en demi-figure. Non sans me souvenir des conseils du cardinal : "Pour désarmer les censeurs du Saint-Office, si tu abordes un sujet trop libre pour ces Monsignori, déguise-le en thème mythologique. Ils sont si vétilleux.... mais si faciles à tromper! Et même, garde cette confidence pour toi, si heureux qu'on les trompe .....Contre un petit mensonge, avoir la permission d'admirer ce qu'il leur est défendu de regarder!"

(Mario étant l'amant du Caravage)
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Arthur Dreyfus Journal sexuel d'un garçon d'aujourd'hui - éditions P.O.L: où Arthur Dreyfus tente de dire de quoi et comment est composé son livre "Journal sexuel d'un garçon d'aujourd'hui" et où il est notamment question d'intensité de vie et d'écriture, de rencontres sexuelles et de leurs retranscriptions, du désir et de l'amour, de la pulsion de mort, de sexualité gay et des 2300 pages du livre, de honte et de morale, de repentir et de rédemption, d'Emmanuel Carrère et de Michel Foucault, de Guillaume Dustan et de Dominique Fernandez, de Grindr et de plans, de vérité et d'intimité, à l'occasion de la parution de "Journal sexuel d'un garçon d'aujourd'hui" aux éditions P.O.L, à Paris le 19 février 2021
"il faut en finir avec le malheur d'être gay"
"Pendant quelques années, il m'est apparu impossible d'avoir ce qu'on appelle un rapport sexuel sans l'écrire."
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