Le premier homme (BD)

Jacques Ferrandez est devenu au fil du temps le spécialiste de l'histoire de l'Algérie sous domination coloniale française pendant plus de 150 ans avant de connaître l'indépendance pour son plus grand bonheur. Il s'attaque à une grande oeuvre littéraire de Camus qui était resté inachevé à sa mort assez brutale lors d'un tragique accident de voiture.

On plonge dans une Algérie où les français et les arabes cohabitaient presque de manière assez pacifique pour faire tourner l'économie locale. Il ne faudra pas omettre le fait qu'ils ne vivaient pas sur un même pied d'égalité ce qui peut expliquer bien des choses. Graphiquement, c'est toujours aussi beau avec des couleurs bien chaudes comme pour rappeler le climat et les paysages ensoleillés. On ressent avec nostalgie tout le quotidien de cette Algérie aujourd'hui disparue.

Il s'agit en l'occurrence de raconter l'enfance de Jacques Cormery inspirée par celle du jeune Camus puis de partir plus tard à la recherche du père. le défi était plutôt de taille car il fallait adapter en bande dessinée une oeuvre littéraire assez majeure qui est enseigné dans toutes les universités consacrées aux grands auteurs du XXème siècle. Il a su conserver l'esprit de l'auteur en illustrant le roman. Bien écrit et bien dessiné.

A noter une grosse erreur de datation. le héros ne peut avoir 40 ans en 1957 alors qu'il n'avait qu'un an en 1914. Il y a parfois de grosses incohérences qu'on relève et qui peuvent pourtant passer assez inaperçu.

Ceux qui sont nés à Alger et qui ont dû quitter ce pays suite à la guerre et au terrorisme pourront s'y retrouver. Les autres apprécieront sans doute un certain humanisme dans l'appréhension des situations malgré quelques faiblesses.

De passage chez mon libraire indépendant pour tout autre chose en novembre 2018, j'ai vu la couverture de la bande dessinée (BD) de Jacques Ferrandez (JF) adaptée du Premier Homme. Même si je rechigne habituellement à me plonger dans l'adaptation, quelle qu'elle soit, d'un chef d'oeuvre dont la version originale m'a éblouie, je n'ai pas résisté et j'ai acheté le volume. Jacques Ferrandez est un dessinateur qui s'est, entre autres, épris pour la transposition en BD, d'oeuvres classiques de la littérature française du 20 ième siècle (Giono, Pagnol, Camus). J'ai découvert sa méthode de travail au cours d'un reportage télévisé diffusé par Francois Busnel en Juin 2020. Avant de transposer l'oeuvre en BD, Jacques Ferrandez se rend sur les lieux où se déroule le récit pour s'en imprégner afin d'en traduire au mieux le caractère et l'atmosphère dans ses traits de crayon et le choix des couleurs. le travail de création est monumental et constitué d'une infinité d'étapes successives avant d'atteindre le niveau d'exigence établi comme un couperet à toute version jugée insuffisante par l'artiste. Il faut compter une année de travail continu pour arriver au résultat escompté. L'album est splendide. Il n'en reste pas moins que ni la qualité exceptionnelle du dessin, ni la verve du texte transcrit dans les phylactères et encore moins les interstices séparant les cases dessinées ne permettent de transposer la hauteur à laquelle Camus élève la langue française. En ce sens, la lecture de la version BD manque de saveur mais cette déception-là était prévisible. Gageons que les BD de Jacques Ferrandez permettront de faire découvrir des classiques de la littérature française à des lecteurs hermétiques aux oeuvres originales.