Une autrice d'un pays dont on connaît le pays sans vraiment savoir où le placer sur une carte, un titre plein de poésie et de promesse, il ne m'en fallait pas plus à l'époque pour acheter un livre Babel (je découvrais alors que la littérature n'était pas seulement les auteurs enseignés à l'école, et tout un monde de mots s'ouvrait alors à moi…). Pourtant ce livre est resté des années sur mes étagères, avant que je me décide, un peu par hasard, à enfin l'ouvrir il y a peu.
Nous sommes aux îles Samoa, donc, et c'est une petite fille qui parle. Samoana, c'est son prénom. Elle parle, et elle n'a pas la langue dans sa poche. Elle raconte sa famille qui est dysfonctionnelle, son école où il faut parler anglais, le catéchisme qui est obligatoire, les ragots du village qui sont destructeurs. Elle ne dit pas tout cela à voix haute, elle ne le pourrait pas, mais dans sa tête, il n'y a pas de frein et elle n'a pas la langue dans sa poche, ni froid aux yeux.
Cela donne une prose très libre, à laquelle il m'a fallu un bon moment pour m'habituer. Beaucoup de mots en samoan émaillent ce récit, sans qu'ils ne soient traduits ni parfois directement intelligibles. Mais au bout de quelques pages, je me suis laissée entraîner par ces mêmes mots, et j'ai pu voir toute la détresse qui se cache derrière ces paroles apparemment anodines. La détresse et la fierté.Celles d'une fille qui vit dans la plus grande pauvreté (les jours de fête, elle ne reçoit pas une robe neuve, non, mais une culotte neuve, et elle en est toute contente…) sans vraiment s'en rendre compte car tout le monde vit à peu près de la même façon autour d'elle, même si une ou deux familles arrivent tout de même à avoir une télé, qui vit d'Australie ou de Nouvelle-Zélande. La détresse et la fierté aussi d'une jeunesse sans repère dans une culture qui se meurt et laisse un grand vide.
C'est un livre âpre et qui se gagne, il faut réussir à y entrer. C'est un livre qui constate tout ce qui s'en va à vau-l'eau, les aspirations d'une société qui aspire à un confort venu de l'extérieur sans s'apercevoir de quoi ces nouveaux rêves les éloigne. Pauvreté, perte de culture, c'est un livre qui serre le coeur, et n'offre pas beaucoup d'espoir.
Après un début un peu difficile, j'ai fini par apprécier ce livre malgré l'immense tristesse qu'il dégage. J'ai tout de même préféré, sur un proche, [
L'Ame des guerriers] d'
Alan Duff. Ce dernier et plus incarné, il suit le destin d'une famille de maoris dans une banlieue sans horizon de Nouvelle-Zélande nous laisse moins spectateurs de cette déliquescence qui ne semble avoir pour seul horizon que la résignation.