Il retira l'omoplate d'orignal qu'il avait enfouie sous la braise, et entreprit de lire le présage.
[...]
Qu'avait-il vu sur l'os d'orignal ?
Rien de bon sans doute...
Mais fallait-il encore croire à ces anciens oracles ?
Un homme venait de marcher sur la Lune pour la première fois, et nous, nous jetions au feu des os de bêtes sauvages pour y lire notre avenir...
- Tu n'as pas besoin d'avoir peur : nous sommes ici pour sauver ton âme.
A croire qu'il lisait dans mes pensées.
- Grâce à nous, tu échapperas à l'enfer. Sans nous, tu étais voué à la damnation éternelle. Mais ici, grâce à la bonté de Notre-Seigneur miséricordieux, tu es sauvé : nous extirperons le sauvage en toi.
Je restais immobile, les yeux baissés.
Tout mon corps brûlait, et aussi ma gorge et mes yeux. J'étais couvert de traces de coups, de marques sanglantes infligées par la nonne, mais cela, le prêtre feignit de ne pas le voir.
Sur un ton radouci :
- On s'habitue vite, tu verras.
S'habituer à quoi ? Soudain, il se leva, et, sans dire un mot, éteignit la lumière. Il prit mon sexe recroquevillé entre ses doigts, et se mit à le caresser, en me fixant dans la pénombre avec un sourire narquois. A mon grand effroi, mon sexe se durcit, gonfla, je ne pouvais rien y faire : c'était plus fort que moi. Je me sentais défaillir, je ne parvenais même plus à respirer. Autour de moi, les murs vacillaient.
Je dus me tenir pour ne pas tomber.
- Tu es un beau garçon... dit-il en se redresssant. (Il ralluma la lumière.)
Dans les wagons de troisième classe destinés aux enfants indiens, tout le monde pleurait.
Même chose sur les quais, puis tout le long du trajet.
Railway of tears...
Jamais train n'avait aussi bien porté son nom.
La nonne-shuskata ramassa ma tresse et la jeta dans le foyer. Avant de se consumer, elle se tordit sur la braise, comme un serpent vivant.
J'ai dû me retenir pour ne pas l'arracher au feu; la nonne aux ciseaux aurait été capable de me trancher les doigts. L'odeur de brûlé emplit la pièce.
Elle attrapa un rasoir, m'enduisit la tête de savon noir, et m'enleva les cheveux qui me restaient sur le crâne. Je voyais les mèches noires tomber une à une sur le lino, je me sentais comme un corbeau à qui on plumerait les ailes.
Me raser la tête, c'était un peu me tuer. Tuer l'Ojibwé en moi. C'est bien ce qui était écrit sur le mur... Kill the Indian in the child.
p.91.
Postface
Tous les sévices racontés dans cette histoire sont vrais hélas, attestés. C'est l'histoire d'une centaine d'écoles résidentielles du Canada, dont le mot d'ordre était : " Kill the Indian in the child. "
La dernière a fermé en 1996, prêtres et nonnes y ont sévi pendant plus d'un siècle. Plus de 150 000 enfants indiens y ont souffert, 30 000 au moins y ont trouvé la mort.
Les sévices y étaient innombrables, les traumatismes parmi les Indiens aujourd'hui sont effarants, dans les réserves et ailleurs.
Tout ce qui est raconté dans ce texte a eu lieu au pensionnat de Saint-Anne, le pire de tous.
Un des pires, disons. Il a eu un procès, il y a quelques années : tous ces prêtres et nonnes ont été reconnus coupables, mais aucun n'a été condamné.
La liberté de bondir, de courir, de nager ! Tout ce que j’aimais, tout ce à quoi j’allais devoir renoncer.
« Un petit indien mort de plus ou de moins, les blancs n’ en avaient pas grand-chose à faire... »
Sébastien DB
Un homme venait de marcher sur la Lune pour la première fois et nous, nous jetions au feu des os de bêtes sauvages pour y lire notre avenir.
"Me raser la tête, c'était un peu me tuer. Tuer l'Objiwé en moi."
"Me raser la tête, c'était un peu me tuer. Tuer l'Objiwé en moi."