La critique ne tarit pas d'éloges pour
Canada de
Richard Ford, sélectionné par le jury,Femina. Et qui pourtant laisse certains perplexes sinon incrédules, quand on a déjà mesure la dimension de ce romancier. ... Roman américain certes, par ses tropismes, ses obsessions, une nostalgie de l'enracinement, une culture des grands espaces, de l'exil et de l'errance.
Un homme d'une soixantaine d'années revient sur une adolescence partagée avec une soeur, marquée, déroutée par la transgression invraisemblable de leurs parents, issus de la middle class américaine, méritants et sans histoire et qui contre toute attente décident de braquer une banque. Remake loufoque de Bonnie and Clyde. le sujet n'est certes pas banal, mais l'application scrupuleuse de Ford à vouloir en rendre compte n'en est pas moins déroutante. Ici aucun rêve, pas de western, aucun suspens, aucune séduction narrative. Mais dans la trame d'un récit minutieux, analytique, abondant, obsessionnel et sans éclats, s'additionnent par fragments, par petits point d'orgues qui le ponctuent, les éléments d'une réflexion sur le puzzle d'une vie familiale bricolée à la va vite, absurde, reconstruite d'une façon maniaque, à qui manque une pièce essentielle (ainsi pour le puzzle paternel des chutes du Niagara) qui cherche à prendre sens ou rétrospectivement en donner un, afin d'y dessiner une cohérence , voire un destin, souligne l'auteur. Les personnages choisis ont un CV dont l''exception , sinon l'incongruité le disputent à la banalité du récit. Pourquoi le mystérieux Arthur Remlinger qui brillerait par son passé douteux, sa part d'ombre et de générosité, bute t'il les flics qui enquêtent sur son passé de terroriste ? On n'en sait trop rien, un caprice d'auteur, une contingence gratuite, une faute de goût... Cela nous rappelle "L'étranger", l'épaisseur, le soleil et le talent de Camus en moins. On pourrait résumer ce roman par le déroulé incohérent d'une,vie familiale ballottée qui se délite peu à peu au vent de la modernité américaine, d'une histoire sans fleurs ni couronnes depuis la seconde guerre mondiale. Impermanence de nos vie, tout passe, que reste t'il, sinon une histoire sans queue ni tête, peut-être une variable américaine de l'ecclésiaste, tout n'est que vent et poursuite du vent. Ici, pas de quoi en faire un fromage, et
Canada, que j'ai voulu finir coûte que coûte, exsude une sorte de tristesse morne, indéfinie, sans couleurs, maniaque. On s'ennuie... en imaginant que cela pourrait être le propos de
Richard Ford. Et le puzzle, thème émergeant de ce roman, reste l'épicentre d'un bavardage fasciné, narcissique qui tourne sans cesse en rond et n'en finit pas de finir. Et manque justement à Dell le narrateur, ainsi qu'à son père cette dernière pièce qui justifierait leur vie, leur donnerait une identité attendue, une vrai raison d'exister. Pour en terminer avec le livre de
Richard Ford qui cultiverait dans les invraisemblances du récit la quête existentielle et compulsive d'une étrangeté, d'une contingence dont il n'a peut-être pas vraiment mesuré toute la densité, on pourrait comparer l'écriture de ce roman à la pale imitation d'un tableau
Edward Hopper