Science et bon sens font-ils bon ménage ? L'expérience de
Schrödinger, où un chat dans une boîte peut être mort ET vivant, où l'atome est ET n'est pas désintégré, pose la troublante question de ce paradoxe extravagant de la mécanique quantique.
Voilà à quoi s'attaque
Philippe Forest dans son nouveau «roman», composition surprenante de pièces a priori disparates. L'exposé scientifique qui ouvre le livre précède la remontée des souvenirs du narrateur, souvenirs de son enfance, souvenir de la mort de sa fille (souvenirs ou « inventions », c'est lui qui le dit). Lui, qui ? Même le je de ce livre balade le lecteur, s'en joue. L'écrivain nommé
Philippe Forest, « bientôt un demi-siècle », ayant passé son enfance dans un appartement parisien situé au sixième étage, actuellement vivant dans une maison d'une petite ville de la côte atlantique et estimant «nul» le niveau de ses connaissances scientifiques..., tout à coup, et «puisqu'il lui faut quand même un nom», demande qu'on l'appelle
Schrödinger. Il va, ainsi, se raconter savant (
Prix Nobel !), poète et perpétuel amoureux à la double vie.
Provisoirement seulement car le vrai
Philippe Forest revient à l'exhaustion de la petite fable « burlesque » de
Schrödinger, déraisonnable jusqu'à l'invraisemblable, reprend ses commentaires des théories quantiques via Hugh Everett ou Bryce DeWitt, interroge la philosophie via
Aristote ou Leibnitz, et la littérature via Champfleury,
Baudelaire, Breton ou
Borges («On en apprend des choses!»).
Le fil rouge de ce livre tout en allers et retours reste une longue méditation (exercice auquel invitent les chats) sur le tout et le rien, la mort, l'absence de Dieu, «la vérité vide de la vie», une anamnèse tricotée de digressions au gré des sautes et des oublis de la mémoire, comme elle vogue, vague, vagabonde, quand tout se superpose dans le désordre, et quand tout ne se tendrait que vers un grand vide.
Tout au long de cet habile pêle-mêle courent les chats (animal favori des écrivains), bêtes et mots (jouer « à chat perché, au chat et à la souris », etc.) jusqu'à ce que le personnage s'en aille, dans la nuit, chercher son chat perdu – qui était un chat trouvé. Dernière question, induite : un chat perdu n'est-il pas un chat à la fois mort ET vivant ?
Philippe Forest signe sans doute ici son livre le plus déroutant, qui chahute la logique et la chronologie, mêle le réel et la fiction, « du plus grave au plus léger », dans une fable sur la vérité et l'imaginaire, l'apparition et la disparition – la perte.
Chronique parue dans "Encres de Loire" n° 63, printemps 2013
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