En bas, tu n'aurais peut-être pas cru, tandis qu'ici... Ici, on ne peut pas mentir ! On ne ment jamais en haute montagne.
Pour la première fois de sa vie, Brigitte ne désire plus rien ; il lui semble vivre un rêve qu’elle n’aurait jamais osé faire. Et cela, elle le doit à cet homme simple assis près d’elle. Elle comprend tout à coup pourquoi la montagne le transfigure et le hausse de cent coudées dans l’échelle des êtres : c’est qu’il connaît le chemin de ces paradis inconnus, qu’il juge à sa valeur réelle la vie plate des villes, leurs habitants mesquins et intéressés.
Plus irréel que tout sont les moments de calme, ces zones de silence spéciales à la haute montagne, pendant lesquelles la vie parait s'être retirée des choses.
Ils redescendirent les premières pentes et s'accordèrent un peu de repos, à l'abri des dangereux séracs. La matinée etait peu avancée; le soleil qui venait de toucher le Col des Nantillons, juste au-dessus d'eux, éclairait violemment les grands couloirs de Blaitière. Mais ils n'admiraient ni la majesté du site, ni la beauté des premiers plans glaciaires, ni la perspective des sommets secondaires fuyant vers le nord, jusqu'à la frontière suisse. Ils ne sentaient même pas le froid insidieux qui les pénétrait. Ils réfléchissaient ! leurs recherches étaient sur le point d'aboutir et, à cette idée, leur cœur battait un peu plus vite !
L’amour de la montagne ne se discute pas.
Le grésil et la neige les cinglent en plein visage. Leurs moufles sont devenus durs comme de la glace, la toile des anoraks est raide et cassante. Ils ne sentent plus le froid et ça devient inquiétant.
Zian interroge brièvement :
"Froid ? Non... Le nez ? Le nez est brillant, tout va bien. Les mains ? Elle n'a pas quitté ses moufles, donc rien à craindre ? Ah ! Les pieds ! Sens tu tes pieds, Brigitte ? C'est important ! A peine ? ... Fait aller tes orteils dans tes chaussures... ça y est ? Ils bougent tous ? Bon ".
Mon royaume ... Pour toi, Brigitte !
Seul ! Non pas. Déjà le choucas familier, porté par un courant ascendant, s'élevait, les ailes déployées, et planait majestuesement sur sa tête. L'homme et l'oiseau s'observaient. Enfin, ce dernier, ayant lancé son cri aigu, se laissa tomber tel un plomb vers les gouffres.
On apprend toujours assez vite les choses désagréables.
On ne se sépare pas comme ça des vieilles pierres qui vous ont vu naître.