Citations sur La belle et le fuseau (13)
La reine s’éveilla de bon matin ce jour-là.
- Une semaine, énonça-t-elle à voix haute. Dans une semaine à compter d' aujourd’hui, je serai mariée.
Cela paraissait aussi improbable que définitif. Elle se demandait ce qu’elle éprouverait une fois dans sa peau d’épouse. Ce serait la fin de sa vie, décida-t-elle, si la vie était le temps du choix. Plus qu’une semaine après quoi elle n’aurait plus aucun choix devant elle. Elle régnerait sur son peuple ; elle aurait des enfants, peut-être mourrait-elle en couches, peut-être à un grand âge, peut-être à la bataille. Mais le chemin vers sa mort, un battement de cœur après l’autre, serait toute tracée.
Chacun de leurs coups de marteau était un battement de coeur.
- Des braves, des femmes aussi, dit-on, ont tenté de se rendre dans la forêt d'Acaire, d'atteindre le château au cœur de la forêt, d'éveiller la princesse, et en l'éveillant de réveiller tous les dormeurs. Mais tous ces héros, jusqu'au dernier, ont perdu la vie dans la forêt, assassinés par des bandits, ou embrochés sur les épines des rosiers qui encerclent le château...
- L'éveiller comment ? questionna le nain de taille moyenne - le poing toujours serré sur sa pierre, car il ne perdait jamais le sens des priorités.
- Par la méthode habituelle, dit la servante en rougissant. Du moins celle que donnent les contes.
- Je vois ! clama le plus grand. Un seau d'eau froide dans la figure en criant "Debout, debout !"
Ils avaient des noms, ces nains, mais les êtres humains n'étaient point autorisés à les connaître, ce genre de choses étant sacrées.
La reine aussi avait un nom, mais par ces temps on ne l'appelait plus que Majesté. Les noms n'abondent pas dans ce récit.
C'était le royaume le plus proche de celui de la reine, à vol d'oiseau, et pourtant même les corbeaux ne volaient pas jusque là-bas.
Vous croyez peut-être avoir déjà lu cette histoire. Celle d'une reine sur le point de se marier. De nains courageux, honnêtes et travailleurs. D'un château prisonnier des ronces et d'une princesse qui, dit-on, aurait été maudite par une sorcière et condamnée à dormir à jamais.
Mais cette fois-ci, pas de noble prince chevauchant son fier destrier. Ce conte de fées est tissé avec un fil maléfique, qui se tord et s'enroule, éblouit et étincelle. Une reine pourrait bien devenir une héroïne, si une princesse devait être secourue.
Les noms, toujours les noms. La vieille plissa les paupières, puis secoua la tête. Elle était elle-même, voilà tout : le temps et l'oubli avaient englouti le nom avec lequel elle était née.
- C'est déshonorant, jugea l'un d'eux. Nous devrions rester et combattre.
- Il n'y a aucun honneur à combattre un adversaire qui ignore jusqu'à votre présence. Nul honneur à combattre quelqu'un qui rêve de pêche, de jardins ou d'amours mortes, s'offusqua la reine.
- Que feraient-ils s'ils nous attrapaient?
- Voudrais-tu le savoir?
- Non, reconnut le nain.
You don’t need princes to save you. I don’t have a lot of patience for stories in which women are rescued by men.
On a le choix, songea-t-elle lorsqu’elle fut restée assez longtemps assise. On a toujours le choix.
Elle en fit un.
La reine se mit en route, et les nains la suivirent.
- Vous êtes consciente que nous marchons vers l'est, n'est-ce pas ? lui dit un de ses nains.
- Oh, oui, répondit la reine.
- Alors ça va.
Et ils s'en allèrent en direction de l'est, tous les quatre, tournant le dos au couchant et aux contrées familières, pour s'enfoncer dans la nuit.
Elle chevaucha une journée entière avant d'apercevoir, spectral et lointain, tel un banc de nuages sur fond de ciel, le contour des montagnes qui bordaient son royaume.