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251 pages
Editions Baudinière (12/06/1933)
4/5   1 notes
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
On ne dira jamais assez à quel point les éditions Baudinière recèlent des perles de nanardise totalement hallucinantes. Follement enrichi par le succès colossal et quasi-planétaire de son poulain Maurice Dekobra, Gilbert Baudinière publia durant les années 1920 à 1940 une quantité incroyable de manuscrits tous plus saugrenus les uns que les autres, et en même temps absolument fascinants parce que totalement sans filtres, sans formatages, ne cédant au final qu'à l'esprit maison qui ne semble avoir exigé de ses auteurs qu'une contexte exotique et un anticommunisme ostentatoire, dont le simplisme paranoïaque est aujourd'hui plus risible que gênant.
Si Gilbert Baudinière signait allègrement de jeunes auteurs en espérant (vainement) y dénicher un autre Maurice Dekobra, il sut faire appel aussi à quelques plumes populaires plus expérimentées, et qui se retrouvaient avec un manuscrit trop inhabituel dont personne ne voulait. C'est ce qui semble être arrivé avec ce roman insolite et scandaleux, que l'on doit à la plume d'un graphomane alors grabataire, Louis Gastine.
Né en 1858, Louis Gastine fut longtemps un journaliste et romancier populaire, qui petit à petit se passionna pour les débuts de l'aviation puis pour la science-fiction. Son impressionnante production fut hélas principalement publiée en fascicules d'une centaine de pages qui ne furent que rarement réédités en volumes, et qui sont aujourd'hui extrêmement difficiles à trouver. Son oeuvre la plus ardemment recherchée est encore de nos jours « La Guerre dans l'Espace » (1913) la toute première saga française de science-fiction, décrivant une guerre du futur, et qui s'est étalée sur 18 fascicules qui ne furent jamais réédités, pour cause de guerre du présent.
Durant les Années Folles et jusqu'à sa mort en 1935, Louis Gastine délaissa la science-fiction et l'aviation pour se consacrer à son genre de prédilection, c'est-à-dire le roman historique coquin et polisson, dont les titres, il faut bien l'avouer, font grandement rêver : « Les Nuits Galantes de Louis XV », « le Roi-Soleil S'Amuse », « L'Orgie Gauloise », « Voluptés Gallo-Romaines », « Plaisirs Féodaux », « Les Jouissances de la Révolution », « La Reine du Directoire » et un mirifique « Nuits d'Orgies au Vatican : les femmes du Pape Borgia ».
À partir de 1924, Louis Gastine rejoint les éditions Baudinière, où il publie quelques uns de ses derniers romans, dont celui qui restera son ultime récit de science-fiction, « La Ruée des Jaunes » (1933), un récit d'autant plus choquant qu'il est ambitieux, rédigé avec une incroyable maîtrise du suspense feuilletonnesque, mais évidemment révoltant sur à peu près tous les plans.
On passera sur l'impressionnante illustration de couverture, peut-être l'une des plus odieusement racistes de toute l'histoire de l'édition française, encore qu'à ce niveau-là, on soit tenté d'en rire. Cependant, l'illustrateur a pris ici une initiative personnelle, car paradoxalement, ce roman n'est pas vraiment raciste même s'il joue bien entendu sur la paranoïa de l'époque autour du Péril Jaune. Comme on le verra plus bas, les Asiatiques sont en fait manipulés par un autre peuple, tout à fait caucasien et bien plus condamnable aux yeux de l'auteur. Mais n'anticipons pas, car il ne faut jamais anticiper dans un roman d'anticipation, sinon on ne s'y retrouve plus.
L'action se passe dans un futur proche dont la date ne sera jamais indiquée. Claude Prédal est un militaire scientifique chargé d'une mission de recherches en carburants et matériaux énergétiques, aux portes du désert de Gobi, non loin de Hitor, une cité "inconnue", avec quelques collègues et son assistante Monica Pawlowska, très éprise de lui, mais non payée de retour.
Un matin, les scientifiques assistent à un spectacle dantesque qui les laisse tétanisés : à perte de vue, une gigantesque foule de plusieurs centaines de milliers de personnes s'avance d'un pas calme et déterminé, la plupart lourdement armées. La foule rassemble tout ce que l'on peut trouver comme peuplades à l'Extrême-Orient : Chinois, Japonais, Laotiens, Annamites (Vietnamiens), Malais, Philippins, Coréens, Thaïlandais, Indonésiens, Cambodgiens, Mongols et même des Lamas Tibétains, qui forment les guerriers les plus redoutables.
Ce dernier détail peut surprendre dans ce récit, mais c'était alors un cliché très répandu dans les romans d'aventures exotiques que de croire que les Tibétains étaient particulièrement belliqueux et sauvages, leur civilisation secrète laissant supposer une armée occulte particulièrement redoutable pour qu'on ne les débusque pas. le monde alors était si loin de nous…
L'équipe scientifique est facilement capturée et emprisonnée à Hitor. Claude Prédal est un peu surpris de ne pas avoir été tué, il ignore encore pourquoi leurs vies ont été épargnées. En réalité, ce n'est pas lui ou son expédition qui intéresse les belligérants, mais son assistante Monica. Car aussi incroyable que cela paraisse, cette horde de millions d'Asiatiques déterminés obéit aveuglément à un seul homme : Timour-Lenk, dit "Le Maître", un Mongol métissé de Russe, qui a été formé et assisté par l'U.R.S.S., laquelle a son propre intérêt pour voir disparaître l'Occident Capitaliste. Mais néanmoins, Timour se méfie des Communistes, et ne cache pas à Monica qu'une fois l'Occident vaincu, il compte bien faire marcher sa horde à rebours vers la Russie et écraser cette populace afin de faire de tout l'immense continent réunissant l'Asie et l'Europe une terre exclusivement asiatique où les Occidentaux survivants seront réduits en esclavage.
Dans cette longue quête visant à changer le cours de l'Histoire, Timour-Lenk a besoin d'une compagne, d'une reine, d'une impératrice. Il a choisi Monica pour deux raisons : d'abord parce que, bien que se prétendant polonaise, Monica Pawlowska est en réalité une espionne soviétique, missionné auprès de Claude Prédal pour communiquer au Kremlin le fruit de ses recherches. La Russie a vendu ce secret à Timour-Lenk, mais sans pour autant lui recommander d'épargner la jeune femme. Sacrifiée et lâchée par son service, qui ne l'a pas avertie de l'invasion en cours, Monica devrait être déjà morte. Plus rien ne la retient donc d'un côté ou de l'autre du rideau de fer. Timour-Lenk lui offre un avenir et un trône, ce que personne d'autre n'est en mesure de lui accorder.
Face à tant d'arguments, et parce qu'elle sait Claude Prédal insensible à ses charmes, Monica accepte avec beaucoup d'enthousiasme de devenir la Reine d'un Monde Nouveau.
Il est vrai que le succès de la Ruée des Jaunes semble certain. Tout en avançant, les guerriers asiatiques traversent des villes et des villages, qu'ils ravagent, pillant tous les vivres et le matériel qui leur seront nécessaires. Les habitants qui tentent de résister sont massacrés. Les femmes et les enfants sont enrôlés de force. Les hommes survivants, ayant tout perdu, se voient obligés d'incorporer la Horde et de devenir des guerriers barbares eux aussi. Tout cela fait que la Horde progresse vers l'Ouest, en parvenant à subvenir à ses besoins et en grossissant chaque jour de plusieurs milliers de nouvelles recrues. La Horde n'a même pas besoin de commandement, elle n'a rien d'autre à faire que de continuer sa route jusqu'aux côtes atlantiques, en ravageant tout sur son passage. L'Occident n'est pas encore averti de la vague d'Asiatiques qui va déferler sur lui. Les quelques télégrammes envoyés in extrémis par les villes attaquées sont jugés tellement irréalistes que l'on croit à des canulars.
Resté à Hitor avec son armée personnelle, Timour-Lenk y célèbre son mariage, et impose à Claude Prédal et à son équipe de choisir entre l'incorporation à son armée ou la mort. Tous choisissent de rejoindre l'armée asiatique, y compris le britannique Charley Spring, qui fomente néanmoins des plans d'assassinat de Timour-Lenk. Seul Claude Prédal refuse de trahir la France et l'Europe, et préfère être exécuté. Cette attitude courageuse et patriote fait une forte impression sur l'âme romantique de la jeune Adala, fille d'un premier mariage de Timour-Lenk. Élevée en France dans des écoles privées, la jeune femme en a ramené des idées saines, chrétiennes et capitalistes, qui lui font prendre en horreur la folie guerrière de son père. Jusque là étroitement surveillée par Radine, le conseiller-télégraphiste soviétique assurant les liens entre Timour et le Kremlin, et qui espérait bien obtenir de Timour-Lenk la main de sa fille, elle en est délivrée par la condamnation à mort de Radine par Timour-Lenk, décidé à s'affranchir de l'autorité soviétique. Hélas, incapable elle-même de s'opposer à son père, Adala décide de venir en aide à Claude Prédal, et de l'extraire de sa cellule avant qu'il ne soit exécuté. Timour-Lenk possède en effet un aérodrome secret où se trouvent deux avions, permettant au maître d'aller surveiller l'avancée de ses troupes. Adala se propose de le conduire à cet aérodrome afin que Claude s'échappe, retourne en France et avertisse l'Occident de la terrible menace qui se profile. L'évasion se passe facilement, mais au moment où Claude Prédal monte dans l'avion, il tente de convaincre Adala de venir avec lui, mais la jeune femme s'y oppose résolument, estimant que son devoir est de rester auprès de son père, et de mourir avec lui si le destin doit en décider ainsi. C'est alors que survient fort à propos Charley Spring, qui a tenté sans succès d'abattre Timour-Lenk, et se retrouve poursuivi par les forces de sécurité. Avec Claude, il maîtrise Adala, et parvient à la faire rentrer de force dans le cockpit. Puis après avoir hâtivement saboté l'autre appareil, Charley Spring prend les commandes de leur avion, et les trois fuyards s'envolent paisiblement vers la France.
C'est à partir de ce moment-là que le roman dérape véritablement, car une fois le trio arrivé en France et ayant raconté leur aventure, les Nations Occidentales comprenant enfin l'importance capitale de la menace vont d'abord réagir en formant… une dictature européenne ! Car seule la dictature peut vaincre une autre dictature. Logique, non ? Face à une grande menace, le peuple doit obéir aveuglément à un meneur arbitraire et incontesté. Selon Louis Gastine, ça n'est rien d'autre que du bon sens...
Deux décisions massives sont prises :
- D'abord on télégraphie aux villes et aux villages les plus proches de la Horde afin de leur donner l'ordre de détruire impitoyablement tous leurs vivres et toutes leurs nourritures et boissons. Les habitants seront ravitaillés par avion, après le passage de la Horde, qu'il s'agit d'affamer, et donc de ralentir. Ce ralentissement permet en plus de larguer efficacement des bombes incendiaires sur cette immense meute, sans défense contre l'aviation.
- Ensuite, il s'agit de débusquer en France, et dans tous les pays européens, les Asiatiques qui y sont installés et les sympathisants communistes pour les exécuter froidement, un par un, d'une balle dans la tête, afin d'éliminer toute complicité éventuelle en Occident. Louis Gastine insiste lourdement sur la nécessité d'exterminer, sans procès ni fioritures, tout ce qui représente même potentiellement un "ennemi intérieur", suggérant même – ce qui donne froid dans le dos – que l'on n'aurait pas dû attendre de telles extrémités pour se livrer à cette épuration…
Grâce à ces mesures "salvatrices", la Horde des Jaunes, affaiblie par la famine, est intégralement carbonisée par bombardements. Quant à Timour-Lenk et Monica, poursuivis par les polices européennes, ils se réfugient tout en haut d'une montagne et se suicident.
Enfin, dans une France qui a enfin obtenu une paix durable par un régime dictatorial impitoyable, Claude Prédal épouse Adala, et ils vivent heureux dans une société occidentale qui en a enfin fini avec ces fléaux que sont la tolérance et les libertés individuelles...
On referme donc « La Ruée des Jaunes » avec un puissant sentiment de malaise : on s'attendait à un navet raciste un peu kitsch, on se trouve en présence d'un plaidoyer nanardesque mais décomplexé pour le fascisme. Néanmoins, il faut reconnaître à ce roman de science-fiction un authentique caractère visionnaire : en 1933, Louis Gastine accouche d'une dystopie qui porte en elle tous les germes des drames de la décennie à venir : l'invasion territoriale par motif idéologique et racial – prêtée aux Asiatiques, mais qui sera en réalité la dernière mouture du pangermanisme - ; la traque, la capture et l'exécution d'une certaine catégorie de population ; l'alliance européenne qui débouchera, en réalité et heureusement, sur une fédération et non sur une dictature, jusqu'au suicide de Timour-Lenk et Monica au sommet d'une montagne qui préfigure de manière troublante le suicide réel douze ans plus tard d'Adolf Hitler et d'Eva Braun dans leur bunker.
Tout ce caractère incroyablement prophétique que Louis Gastine, mort en 1935, n'a pas pu mesurer n'élude cependant pas la très intrigante absence des États-Unis dans ce roman. C'est là la grande erreur de jugement de Gastine, qui ne prévoyait apparemment pas que ce soit de leur entrée dans la guerre que jaillirait la victoire de l'Occident.
Il est difficile de juger ce roman selon des critères habituels. Son intrigue est aussi originale que porteuse des préoccupations et des dérives de son époque, mais le récit, parfois inutilement soucieux de réalisme face à un public encore peu familiarisé avec la science-fiction, met beaucoup de temps à démarrer et traîne souvent en longueurs et en piétinements. Sa philosophie fasciste est évidemment révoltante, mais moins raciste que l'on pouvait s'y attendre, attendu que pour l'auteur, seul le soviétisme est réellement à la racine du mal. Les Asiatiques ne sont ici présentés que comme des victimes fanatisées d'une idéologie politique qui, selon l'auteur, doit être éradiquée de toute urgence. En ce sens, son roman reflète une certaine mentalité propre à son époque, et qui a d'ailleurs justifié une partie de la tentation fasciste ou collaboratrice à laquelle bien des gens se sont abandonnés ensuite sous l'Occupation par terreur du communisme.
On a longtemps ri de cette phobie russophobe typique de l'époque du Rideau de Fer. On en rit beaucoup moins depuis le début de l'année 2022, alors que le monde entier revient en arrière et retombe dans ses vieux démons bellicistes et paranoïaques.
Tout cela redonne un regrettable coup de jeune à ce roman d'anticipation désuet, qui exploitait une tension réelle entre l'ouest et l'est qui, malgré une paix libérale et relative ayant duré près de huit décennies, mine à nouveau le XXIème siècle de manière durable. On aimerait pouvoir dire de « La Ruée des Jaunes » qu'il repose sur des idées nauséabondes d'un autre siècle. On le lira désormais avec le sentiment, hélas, de ne plus pouvoir le juger aussi poussiéreux qu'on le pensait...
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