"Je rentre mon ventre pour fermer mon pantalon bleu marine.Après 15 ans d'inaction à l'I3P, mon corps affuté post école s'est alourdi de quelques kilos. Le froc me serre les hanches . Il est 13h40, samedi 9 mars 2019. Dans vingt minutes, je prendrais mon poste pour la première fois au commissariat du 19eme arrondissement de Paris."
C’est l’une de mes premières journées avec le groupe, et ils en tiennent enfin un. Ils les appellent « les bâtards ». Et quand ils sortent, ils partent à la chasse aux « bâtards ». Celui-là, Toto n’a pas trop galéré à le choper. Il s’agit d’un mec chétif, un gringalet sans doute mineur. Un « petit bâtard », quoi.
En témoigne la formation pour l'accueil des personnes victimes de violences conjugales, expédiée en trois heures.
Une mission pour rien, une de plus. Depuis le début de l'après-midi, nous les enchaînons.
De mon côté, je me rends compte qu'en l'espace de six mois, mon niveau d'humanité et d'empathie a chuté. Comme si ce boulot m'avait vacciné contre la sensibilité.
Est-il raisonnable de former des représentants de la loi à la va-vite, de les placer dans des conditions de travail dégradées et d'exiger qu'ils soient des modèles de vertu? Non, évidemment. Ce n'est ni raisonnable ni sensé.
Imaginez un boulot où tout est décrépit autour de vous: vos voitures de fonction, vos locaux, ou encore vos équipements. Histoire d'ajouter un peu de sel, vous portez un uniforme qui déclenche d'emblée l'hostilité d'une partie des gens que vous croisez. Vous êtes formé à la va-vite, plongé dans des situations chaotiques, avec, en plus, l'impératif insidieux de suivre "une politique du chiffre" souvent absurde.
De mon côté, je me rends compte qu'en l'espace de six mois, mon niveau d'humanité et d'empathie a chuté. Comme si ce boulot m'avait vacciné contre la sensibilité. Au début de l'immersion, l'arrivée d'une femme victime de violences conjugales au commissariat remettait immédiatement en état de stress. Six mois plus tard, j'ai vu la même scène se répéter si souvent que je ne réagis plus avec la même urgence.
Nous avons du temps pour découvrir comment menotter et tirer, pas pour apprendre à accueillir et accompagner une femme victime de violences conjugales.
J’ai l’impression que n’importe qui peut devenir flic : un journaliste, un ancien facho et, plus improbable, un mec avec un casier judiciaire.