Des interprètes de talent, les conservatoires en déversent des contingents entiers sur le marché à chaque rentrée. Toute cette chair fraîche et surentraînée sait parfaitement quoi faire de ses dix doigts. Ce qui fait la différence, c’est l’ambition, l’acharnement, l’âpreté que chacun mettra à se propulser sur le devant de la scène. Même si, pour cela, quand la cause l’exige, il faut pousser quelques obstacles et, au besoin, accepter de se salir les mains.
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Je n’aime guère le clavecin, avec ses cordes pincées et sa sonorité aigrelette. Je lui préfère, et de loin, la complexité du violoncelle, son amplitude et ses puissantes harmoniques.
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Continuer à espérer quelque chose qui n'arrivera plus est la meilleure manière de se rendre fou.
A quoi sert la musique, si ce n'est à être partagée ? Je ne connais rien qui égale sa capacité à reformuler nos chagrins dans une langue supportable.
Ce qu’il me revenait d’expliquer à ces jeunes musiciens, après ces années d’examens, d’évaluations, de concours où on leur demandait d’abord d’être des athlètes du clavier, c’est qu’il fallait accepter de se présenter humble et nu devant la musique. Que le prix à payer était lourd d’impudeur, exorbitant par moments. Mais qu’on n’avait pas le choix.
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Voilà ce que j’aimerais laisser derrière moi : la quintessence du génie de Scarlatti. Qu’elle pénètre tout droit dans les cœurs, qu’elle illumine les heures et les jours de ceux qui l’écouteront comme elle a illuminé ma vie.
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Que m’importent Belkacem, mes thésards grincheux ou Karen Salgado. Que m’importent une claveciniste sur le retour et un chercheur qui se croit malin.
Le mois prochain, j’irai à Madrid. J’ouvrirai un fonds que je n’ai jamais encore exploité, dans un couvent. Je retournerai à Leipzig, à Londres. A Dublin aussi, fouiller la vie de Roseingrave. La piste n’est peut-être pas complètement éteinte.
Il en reste, des bibliothèques, des rayonnages, des manuscrits à écumer, des indices à relever, des volumes de musique à ouvrir. Il en reste, des financements auxquels je peux prétendre, et qu’on m’accordera.
Et surtout, il reste sa musique. L’espoir qu’elle n’ait pas révélé tous ses secrets.
Ca prendra le temps que ça prendra, mais je la retrouverai, la cinq cent cinquante-sixième sonate.
Lorsqu’elle était auprès de moi, sa présence était une évidence que je ne questionnais jamais. Depuis qu'elle n'est plus la, elle obsède mon présent jusqu'au vertige.
Continuer à espérer quelque chose qui n'arrivera plus est la meilleure manière de se rendre fou.
Son regard me faisait penser à la mer en Bretagne : parfois d'un gris-vert limpide, parfois assombri par de violents remous intérieurs.