Ah, ces romancières anglaises des années trente et quarante ( juste avant qu'elles ne basculent toutes dans le polar)! On se laisse irrésistiblement prendre au charme et à l'ironie des premières lignes. Exemples: «Elle avait la réputation de posséder la plus belle et la plus importante collection de soutiens-gorges au monde, et l'on espérait qu'à sa mort elle la lèguerait à l'Etat ». Ou: « Souvenez-vous, Mary, qu'à présent je n'ai plus que cent livres par an, et que je ne sais pas jouer au bridge ». Ou encore:
« Mary, vous savez bien que j'ai horreur des soirées. Je me représente l'enfer comme une grande salle de réception dans une pièce froide, où tout le monde doit jouer au hockey comme il faut ».
Parce qu'on en a déjà lu plusieurs dans ce genre -là, on croit que ce roman anglais des années 30 sera plus ou moins à l'image des autres: un séduisant cocktail d'humour, d'ironie, d'understatement…
En tout cas le ton semble donné : Flora , le personnage principal, est très jeune (19 ans), très désargentée, très anticonformiste. Son projet de vie est d'écrire un roman à la
Jane Austen et - en attendant d'avoir acquis l'expérience nécessaire - de vivre en parasite chez des cousins. Son choix se porte sur une parente du Sussex, propriétaire d'un nom et d'une adresse lugubres : en français quelque chose comme Mrs J. Rudvipère, La Ferme du Froid Accueil, Hululant, Sussex.
Hélas, au chapitre III, cela se gâte: on bascule en effet dans le roman rural, mais très très dépréciatif. Car tout semble au-delà du lugubre et de l'inquiétant chez ces paysans du Sussex. Non seulement le nom de l'un des boeufs de labour (Arsenic), le nom du cheval (Vipère), non seulement les noms des vaches ( Disgracieuse, Paresseuse, Insoucieuse et Dédaigneuse), mais jusqu'au porridge en train de cuire (« le porridge fit un saut plein de sous-entendus menaçants »)
Au secours! Où sont passés l'ironie et l'understatement si typiquement anglais, où se sont-ils enfuis? On est soit dans un Dracula, soit dans la franche caricature!!! On croyait le pince-sans-rire anglais un peu plus… «juste un nuage de lait dans ma tasse de thé, s'il vous plaît ..».
Mais il se trouve que la jeune Flora, oubliant son lointain projet de roman à la
Jane Austen, décide de prendre en main toute la maisonnée, et de faire le bonheur d'à peu près tout le monde: depuis la jeune et ravissante beauté sauvageonne jusqu'au prêcheur hanté par les flammes de l'enfer, en passant par l'imposant taureau «Grosbonnet », qu'elle rend à ses prairies et aux douces prémices du printemps…
Donc un roman conte de fées en milieu rural hostile, mais où l'héroine serait celle qui détient la baguette magique, et non la traditionnelle jeune fille asservie.
Un peu comme dans «Ces Dames au chapeau vert » de
Germaine Acremant [[ un vrai petit bonbon de roman celui-là! Pour moi, un immense souvenir de lecture, dans mes très jeunes années]] : par une espièglerie du sort, l' irruption miraculeuse d'une moderne jeune femme destinée à remettre de l'ordre, de la vie, dans une maison qui , en l'occurrence, depuis des décennies vivait sous la coupe d'un vieux tyran féminin enkysté dans sa névrose.