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Critique de Charybde2


Un thriller étourdissant dans le 1855 uchronique de l'industrialisme politique et de l'ordinateur mécanique triomphants à Londres.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2019/11/07/note-de-lecture-la-machine-a-differences-william-gibson-bruce-sterling/

C'est fort naturellement la récente lecture de l'excellent « Ada ou la beauté des nombres » de Catherine Dufour qui m'a donné envie de me replonger sans attendre dans « La machine à différences ». Publié en 1990 (et traduit en français en 1996 par Bernard Sigaud dans la collection Ailleurs & Demain de Robert Laffont), ce roman est le quatrième de William Gibson (deux ans après « Mona Lisa s'éclate », qui achevait la trilogie démarrée en 1984 avec « Neuromancien ») et le cinquième de Bruce Sterling (deux ans après son chef-d'oeuvre officieux, « Les mailles du réseau »).

Les deux compères, alors plus ou moins considérés comme les chefs de file de facto du mouvement littéraire et esthétique cyberpunk, se sont associés pour produire cette surprenante uchronie qui n'en est pas tout à fait une : le fameux point de divergence, le moment où l'histoire racontée s'écarte de notre Histoire connue, y est ténu, subtil – peut-être que Lord Byron, au lieu de devoir quitter l'Angleterre en 1816 sous le scandale sexuel, devint en effet le puissant orateur qu'il rêva d'abord d'être à la Chambre des Lords, que sa fille Ada put devenir au grand jour l'immense scientifique et créatrice de l'informatique qu'elle ne put en réalité être qu'en esquisse, et que Charles Babbage, au lieu de tourner lentement au savant bougon, incompris, irascible et désargenté, put effectivement mettre au point relativement tôt, dans un climat encore beaucoup plus dédié à la science et à l'industrialisation qu'il ne le fut « chez nous », sa « machine à différences », et lancer une informatique, même mécanographique, avec plus d'un siècle d'avance par rapport à ce que nous connaissons.

Fille d'un leader luddite, déchue et réduite à la prostitution, aventurier ex-prolétaire devenu explorateur avancé de kinotropie (le mélange d'époque des techniques cinématographiques et du maniement des cartes perforées), savant paléontologue à la carrière en voie d'accélération malgré l'inimitié durable de certain collègue, écrivain-voyageur aux connections politiques, policières et sécuritaires extrêmement haut placées, ingénieur audacieux spécialiste des vapomobiles les plus avancées, les personnages les plus importants de ce véritable thriller d'espionnage s'entrechoquent sur une toile de fond qui mêle habilement les influences de Charles Dickens (celles-là même dont China Miéville saura aussi se souvenir pour son somptueux « Perdido Street Station » en 2000) et celles d'Arthur Conan Doyle, tout en réécrivant collectivement et discrètement le « Sybil » (1845) de Benjamin Disraeli (qui apparaît, ici, bien avant sa fructueuse carrière politique, alors qu'il n'est encore « que » nouvelliste et échotier). Tout en consolidant les fondations du sous-genre littéraire qui sera par la suite appelé steampunk, William Gibson et Bruce Sterling savent à la fois s'amuser et nous amuser, tout en développant une intense réflexion sous-jacente sur les relations entre économie et société, entre politique et sécurité intérieure, entre domination technologique et hacking libertaire ou intéressé. Et c'est grâce à des oeuvres hybrides, frontalières et innovantes, telles que celle-ci, que la science-fiction littéraire peut se permettre de continuer à constituer l'un des genres les plus intéressants qui soient, encore et toujours.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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