Citations sur Et chaque fois, mourir un peu, tome 1 : Blast (95)
Grégory continue de soigner sans relâche les blessures du monde. Pour essayer de panser ses propres plaies.
- Tu es mieux en France qu’en Tchétchénie, quand même ! espère Alexandre.
- Je ne suis bien nulle part. Je parle, je bouge, je respire. Mais à l’intérieur, c’est un champ de ruines. Mon corps est ici, mon âme est restée là-bas, enfouie sous les décombres. Et un corps sans âme, tu sais comment on appelle ça ?
- Un mort… On appelle ça un mort, lit Grégory à voix haute.
Se saouler pour oublier.
Qu’un enfant de sept ans vient d’être condamné à perpétuité.
Qu’en ce monde, les mines font une victime toutes les vingt minutes.
— Mais moi, je veux pas être docteur, pharmacien ou un truc comme ça.
— Tu as une idée du métier que tu voudrais faire ?
Son fils hausse les épaules.
— Tu as le temps, ajoute son père. Tu es encore jeune.
— Et toi, tu veux quoi pour moi ?
— Que tu sois heureux. C'est la seule chose qui m'importe.
— C'est plus dur qu'être docteur ça, non ? réplique
Anton avec un sourire facétieux.
Ils se mettent à rire.
C’est comme ça, tu sais : ceux qui ont le cœur trop grand sont souvent tristes…
sais, chez nous on dit que pour tirer un train, il faut une locomotive puissante. Et qu’il faut que la locomotive ait toujours du carburant, sinon le train ne peut plus avancer. Grégory attend la suite. — Toi, tu es la locomotive. Anton et moi, on est les wagons. Et ton carburant, c’est partir en mission. C’est aider les gens. Alors, si tu n’as plus de carburant, le train va s’arrêter. Et on n’ira nulle part.
Toute la nuit, Grégory regarde ses mains. Toute la nuit, il affronte les yeux terrifiés d’Anatoli. Toute la nuit, il se demande ce qu’il est devenu. S’il est toujours un humanitaire ou s’il est en train de basculer dans le camp des bourreaux. Une fois encore, il s’est pris pour Dieu. Et il le paiera forcément un jour. Toute la nuit, Grégory regarde ses mains. Ces mains qui ont sauvé tant de vies. Qui viennent de tuer un homme sans défense. Un enfant déguisé en soldat.
Il ressent un profond soulagement d’être à nouveau en mission. À nouveau utile en ce monde. Il se force à oublier qu’il est souvent impuissant face aux horreurs commises par l’être humain. Oublier qu’il a parfois soigné des criminels de guerre. Mais comme chacun a droit à un avocat, chacun a le droit d’être secouru. Il a accepté ces principes lorsqu’il s’est engagé. Il ne devra jamais les oublier ni les renier. Il devra y rester fidèle.
Sur les ondes, on parle en boucle de l'attentat. De ces milliers d'innocents ensevelis sous les tours du World Trade Center. Le monde est en état de sidération. Grégory sait que cet événement tragique générera une guerre, peut-être plusieurs. Il sait que les victimes de Manhattan engendreront des milliers d'autres victimes. Et il ne peut s'empêcher de songer au million de morts du Rwanda qui n'ont pas eu le même retentissement médiatique que les trois mille de New York. Il ne peut s'empêcher de constater que la vie humaine n'a pas la même valeur partout.
Partout dans le monde, la même violence, la même terreur, la même horreur. Mêmes cris, mêmes larmes. Mêmes rêves détruits, mêmes vies brisées. Partout sur le globe, la cruauté des hommes, leur imagination fertile mise au service de la souffrance et de la mort.