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Critique de Lamifranz


Paru en 1951, « Les Grands Chemins » fait partie des « Chroniques, » au même titre que « Un roi sans divertissement » (1947), « Fragments d'un paradis » (1948), « Les Âmes fortes » (1949), puis « le Moulin de Pologne » (1952), « Deux cavaliers de l'orage » (1965), « Ennemonde et autres caractères » (1968), « L'Iris de Suse » (1970). Nous sommes dans la « deuxième manière » de l'écrivain, nettement différente de la première, lyrique, solaire, tellurique. Ici nous sommes plutôt dans le terre-à-terre, le sombre, presque l'animal.
Comme le titre nous y invite, nous sommes ici dans une aventure de la route, un « road movie » (comme disent les collectionneurs d'anglicismes). Dans ses étapes de pré-publication, le roman s'appelait déjà « La Grand-route », avant de devenir, définitivement, « Les Grands Chemins ». Un vrai titre de western. Et il y a un peu de ça dans ce roman : remplacez la piste par le sentier, les paysages du désert par ceux de la montagne, et vous aurez un western provençal (José Giovanni s'en souviendra quand il écrira « Les Grandes Gueules », magnifiquement porté au cinéma par Robert Enrico).
Sur cette route cheminent deux hommes dont on ne connaît pas grand-chose : il y a juste le Narrateur et l'Artiste (c'est seulement à la fin qu'on apprend que ce dernier s'appelle Victor André) et qu'ils sont en tous points dissemblables ; le Narrateur cherche un boulot de ferme en ferme, et l'Artiste est un prestidigitateur spécialisé dans les tours de cartes, et donc plus ou moins tricheur. Ces deux hommes dont on ne sait pratiquement rien nouent une drôle de relation ambiguë, faite d'amitié et peut-être d'amour, va savoir, de protection mutuelle, un peu comme dans « Des souris et des hommes » (de Steinbeck, vous l'aviez reconnu), à cette différence près que le tricheur et malin Artiste n'a rien du doux et irresponsable Lennie. L'arrivée dans un village perdu, enneigé et condamné par l'hiver, va précipiter le dénouement.
Qu'est-ce qu'ils cherchent ces deux-là sur ces grands chemins ? Une sorte d'idéal, sans doute. Une sorte d'évasion, aussi, de fuite en avant qui passe par le mensonge et la tricherie. Deux images traversent le roman de part en part : le jeu de cartes, et le chemin, métaphores continuelles et antinomiques d'une certaine désinvolture et d'une certaine continuité, tout comme d'un certain mensonge et d'une certaine vérité.
L'une des particularité – significative – de ce roman, c'est qu'il est écrit d'un bout à l'autre au présent : cette astuce narrative oblige le lecteur à être présent dans l'action, comme s'il y assistait dans, je ne sais pas, moi, une salle de cinéma ! (toujours le western !)
Pour Luce Ricatte, qui présente le roman de façon superbe dans La Pléiade, Giono reprend le thème du divertissement pascalien, déjà décliné dans « Un roi sans divertissement » :
« Nous sommes ici comme dans « Un roi sans divertissement » au centre de la méditation de Giono. le jeu, l'art, la charité, autant de solutions qui visent à « détourner les choses de leur sens », de sorte que « tromper ne trompe pas mais rapporte ». Il faut tricher avec soi comme avec les autres, sans se faire une grande illusion, en empruntant les chemins les plus divers : chacun s'y engage selon son désir profond et selon son destin ».
Les grands chemins, on peut les choisir, mais on ne peut pas s'en échapper.

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