PANTALON. Qu'y a-t-il ? Qu'avez-vous ? Pourquoi pleurez-vous ?
ROSAURA. Ah, Monsieur mon père...
PANTALON. Allons, qu'est-il arrivé ?
ROSAURA, à part. Oh, mon Dieu ! Si je dis que je pleure parce que don Alonze est en danger, je découvrirai mon amour !
PANTALON. Il doit se passer quelque chose de grave. Vous pleurez ? Vous ne répondez pas ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
ROSAURA. Je pleure parce que j'ai été insultée.
PANTALON. Insultée ? Par qui ? Comment?
ROSAURA. Don Garcie m'a offensée.
PANTALON. Qui cela? Monsieur le Lieutenant?
ROSAURA. Lui-même, l'insolent !
PANTALON.—Que vous a-t-il dit ? Que vous a-t-il fait ?
ROSAURA. Ah, Monsieur mon père... courez...
PANTALON. Où cela ?
ROSAURA. Don Garcie se bat avec don Alonze.
PANTALON. Mais où cela ?
ROSAURA. Ils ne doivent pas être loin.
PANTALON. Pourquoi se battent-ils ?
ROSAURA. A cause des impertinences que m'a dites don Garcie. Vite, Monsieur mon père, courez... empêchez...
PANTALON. Vous êtes bien émue, Madame.
ROSAURA. Je ne voudrais pas être la cause de la mort de l'un d'eux.
PANTALON. Comment cela s'est-il passé ?
ROSAURA. Don Garcie m'a insultée.
PANTALON. Comment ?
ROSAURA. Mon Dieu... en me disant des paroles offensantes.
PANTALON. Qu'est-ce qu'il vous a dit?
ROSAURA. Vous le saurez plus tard; allez vite, Monsieur mon père...
PANTALON. Qu'à donc à voir là-dedans Monsieur don Alonze ?
ROSAURA. Il a pris fait et cause pour moi.
PANTALON. Pour quelle raison?
ROSAURA. Parce que don Garcie m'offensait. Ah, Monsieur mon père, ils se battent.
PANTALON. S'ils ont envie de se battre, qu'ils se battent. Que vous a dit don Garcie?
ROSAURA. Ce serait trop long à vous rapporter.
PANTALON. Je n'ai rien à faire; racontez-moi ça.
ROSAURA. Mais ils vont se blesser...
PANTALON. Tant pis pour eux ! Je veux savoir ce qui s'est passé.
ROSAURA. Oh, ciel !
PANTALON. Qu'y a-t-il ?
ROSAURA. Je n'en puis plus !
PANTALON.Rosaura !
ROSAURA.— Je me meurs ! (Elle s'évanouit).
Acte I, scène IV
CORALLINE, à part. —Comment ! Arlequin soldat?
ARLEQUIN.—Vive la gaieté, Coralline ! Hein, qu'est-ce que tu en dis? Est-ce que je fais assez bonne figure?
CORALLINE.—Félicitations ! Est-ce là la parole que tu m'as donnée de m'épouser?
ARLEQUIN.—Et pourquoi est-ce que je ne pourrais pas t'épouser?
CORALLINE.—Un de ces jours, tu partiras en campagne avec l'armée et tu me planteras là.
ARLEQUIN.—La belle histoire ! Toi aussi, tu partiras en campagne avec l'armée.
CORALLINE.—Non, non, si tu es fou, moi je ne suis pas folle. Va-t’en, je ne veux plus de toi !
ARLEQUIN.— Ah, chienne ! c'est comme ça que tu m'abandonnes?
CORALLINE.—Pourquoi t'es-tu fait soldat?
ARLEQUIN.—Pour manger et pour boire, pour être habillé, chaussé et ne rien faire de la
journée.
CORALLINE.—Pauvre sot, tu verras !
ARLEQUIN.—Je verrai? Qu'est-ce que je verrai?
CORALLINE.—L'hiver, quand il y aura de la neige, et l'été, quand il fera soleil, tu seras sur les remparts, le fusil sur l'épaule : Qui va là? Tu coucheras sur la paille, tu te fatigueras à faire l‘exercice, et si tu commets une faute, on te donnera des coups de bâton.
ARLEQUIN.—Des coups de bâton?
CORALLINE. — Et quels coups de bâton! Et puis tu iras à la guerre, au risque de perdre un bras, ou de perdre un œil, ou de perdre la tête.
ARLEQUIN.—La tête? Je ne veux plus être soldat!
Acte I, scène XIV