Ecrite en dialecte vénitien, la pièce
Les rustres est crée en 1760, à la fin du carnaval. La pièce sera éditée en 1762, avec une dédicace à l'ambassadeur français de Venise, il faut dire que
Goldoni part quelques jours plus tard pour la France, où il finira sa vie. La pièce a inspiré un opéra-comique de Wolf-Ferrari, I quatro rusteghi, crée en 1906.
Nous sommes à Venise pendant le carnaval. Mais pas questions de fêtes et réjouissances dans la maison de Lunardo. Très sévère, il tient très serrées sa femme Margarita et sa fille d'un premier mariage, Lucietta. Il promet néanmoins aux deux femmes des réjouissances pour ce soir : il a invité des amis à lui pour dîner. S'agissant d'individus très proches par leur comportement de Lunardo, elles sont moyennement ravies. Mais cette invitation a un but : celui de marier Lucietta à Felippetto, le fils d'un des invités, Maurizio. Lunardo n'en dit rien à Lucietta, qui l'apprend en secret de sa belle-mère. Elle est partagée entre joie et inquiétude : elle aimerait voir son promis avant le mariage.
Filippetto se rend chez sa tante, Marina, mariée à un autre invité du dîner de Lunardo, Simon. Il est question du mariage, le jeune homme aussi aimerait voir sa fiancée avant de convoler. Survient Simon qui chasse Filippetto, mais il n'arrive pas aussi facilement à se débarrasser de Felicia, forte femme, venue avec son mari Canciano, qu'elle a complètement dompté, et un jeune noble. Felicia décide d'aider les deux jeunes gens à faire connaissance avant le mariage.
Au deuxième acte, nous sommes de retour chez Lunardo. Les invités arrivent peu à peu. Les hommes s'enferment entre eux, pour discuter mariage, et dire des horreurs sur les femmes. Pendant ce temps ces dernières sont laissée à elles-mêmes. Felicia annonce à Lucietta qu'elle verra Felippetto ce soir, il viendra déguisé en femme avec son noble cavalier. Les deux hommes arrivent, Lucietta et Felippetto ont un coup de foudre réciproque. Mais les hommes surgissent, Lunardo annaonce le mariage à sa fille, qui doit avoir lieu le soir même. Mais le cavalier et Felippetto cachés sont découverts, les deux pères se fâchent et annulent la noce prévue.
Au troisième acte, les hommes se plaignent des femmes et de leur comportement. Felicia intervient, prend tous les torts à sa charge et persuade ces messieurs à quel point tout cela n'est pas grave. La réconciliation intervient, et le souper peut enfin avoir lieu, annonce du mariage à venir.
Nous sommes avec des personnages de comédie connus : des vieillards tyranniques et peu policés, qui veulent régenter leurs femmes et enfants, qui s'opposent à toute nouveauté et aux joies de l'existence qui paraissent légitimes à leur famille. La comédie antique, la comédie italienne de la Renaissance, les comédies qui les ont prises comme modèle, par exemple une grande partie des pièces de
Molière, nous ont habitué à ce type.
Goldoni donne dans sa préface à la pièce cette définition du rustre « A Venise, on entend par rustre un homme aigri, rustaud, ennemi de la civilité, de la culture, de la conversation ».
Mais ces personnages de rustres ont un sens plus profond à ce moment de son oeuvre. Il s'agit de riches bourgeois, de notables, de gens issu d'une classe que l'on pourrait croire avide de progrès, de changement, désireux de faire bouger les règles sociales en cours, de secouer la prééminence de la noblesse en déliquescence. Or il n'en est rien : ces rustres sont obtus, et hostiles au changement, plus réactionnaires que les nobles. C'est en quelque sorte le constat d'une société bloquée : entre les nobles qui mangent leur héritage et s'accrochent à leurs privilèges, et une bourgeoisie aux vues étroites et rétrogrades, il n'y a pas de réelle possibilité d'évolution. La république vénitienne s'avance lentement vers sa fin.
Dans la pièce, ce sont les femmes qui s'en tirent le mieux, en particulier Felicia, qui a décidé d'édicter ses règles et de les faire suivre à son mari. Au final, il s'en trouve plutôt bien, et le fait presque reconnaître à ses amis peu aimables à la fin de la pièce. La femme et son bon sens remplace ici le valet de comédie, qui grâce à ses ruses et mensonges arrive à berner les vieillards obtus.
Une très bonne pièce.